C’est la troisième Palme de l’Histoire décernée à une réalisatrice ! Justine Triet a brillé au Festival de Cannes avec son quatrième long-métrage « Anatomie d’une chute » qui lui a valu la Palme d’or décernée par le jury présidé par Ruben Östlund. Elle a aussi jeté un pavé dans la mare avec son discours ouvertement politique contre un gouvernement « qui est en train de casser l’exception culturelle française » . En attendant 3 petits mois avant la sortie officielle en salle obscure prévue le 23 août prochain, retour sur les coulisses d’un film de procès co-écrit en couple et qui dissèque la vie d’un couple…
« Anatomie d’une chute » : la vie d’un couple disséquée
Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple…
Je souhaitais refaire un film sur la relation homme/femme et décrire cette fois la chute d’un couple. Raconter la chute d’un corps, de façon technique, et m’y intéresser autant qu’à la chute d’une histoire d’amour. Donc j’ai imaginé un petit garçon qui découvre l’histoire de ses parents dans un procès qui dissèque méthodiquement l’histoire de ce couple. Cet enfant va passer du stade de l’enfance, incarnée par la confiance absolue envers sa mère, à celui d’adulte et du doute.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute »
Propos recueillis par Benoit Pavan pour Le Festival de Cannes
Film sur le couple, sur le partage du temps, et sur l’enfant qui est au centre de ce partage, Justine Triet questionne ce que chacun doit à l’autre dans un couple : que doit-on donner ? La réciprocité parfaite est-elle possible ? L’égalité dans le couple n’est-elle pas une utopie inatteignable ?
Dans le couple, qu’est-ce qu’on se doit ? Qu’est-ce qu’on se donne ? Est-ce qu’une réciprocité est possible ? Ce sont des questions qui me travaillaient et qui n’avaient pas beaucoup été abordées au cinéma.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute »
Propos recueillis par Benoit Pavan pour Le Festival de Cannes
Sandra Voyter, interprétée par Sandra Hüller (qui avait déjà joué dans le précédent film de Justine Triet, Sybil, aux côtés de Virginie Effira, Adèle Exarchopoulos et Gaspard Ulliel ), est une écrivaine reconnue, son mari est professeur et fait classe à leur fils à la maison, tout en essayant d’écrire lui-aussi.
Il y a évidemment une déconstruction du schéma archétypal du couple. Les rôles sont inversés : je montre une femme qui, en assumant totalement sa liberté et sa volonté, crée un déséquilibre. L’égalité dans le couple est une utopie magnifique mais très difficile à obtenir. Sandra décide de prendre sans rien demander, sachant très bien que sinon, on ne lui donnera rien. Cette attitude est à la fois puissante et questionnable, et le film ne fait que ça : il questionne.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute »
Propos recueillis par Benoit Pavan pour Le Festival de Cannes
Milo Machado Graner incarne l’enfant malvoyant du couple, témoin du drame, et possède également une place centrale dans le film. Pour plonger Milo dans le même état d’incertitude que son personnage Daniel sur la culpabilité de sa mère, Justine Triet a fait le choix avec sa collaboratrice au jeu d’acteur Cynthia Arra, de ne pas lui faire lire la fin du scénario avant de commencer le tournage.
Nous voulions le mettre dans le même état d’incertitude que Daniel dans le film. Il passait donc son temps à nous demander : « Mais elle est coupable ou non ? ». Nous lui avons aussi interdit d’apprendre le texte en avance pour ne rien figer.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute »
Propos recueillis par Benoit Pavan pour Le Festival de Cannes
« Anatomie d’une chute » : un film écrit en couple avec Arthur Harari
Ce n’est pas la première fois que Justine Triet travaille avec son mari Arthur Harari pour l’écriture de film ! Pour « Anatomie d’une chute », le couple a travaillé à la même table pour co-écrire le scénario et les dialogue, Arthur Harari étant lui-même réalisateur.
Je trouve cela très joyeux de faire le même métier que l’autre. Je ne vois pas cela comme de la compétition, au contraire, c’est un partenaire de travail, c’est très stimulant.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute »
Propos recueillis par Brut
La dernière fois que le couple travaille ensemble sur un film ?
C’est en tout cas ce que laissent entendre Justine Triet et Arthur Harari dans une interview accordée à Brut lors du Festival de Cannes :
Ce n’est pas forcément évident des fois pour Arthur de se retrouver dans cette position où, finalement, c’est moi qui avais le dernier mot. Et donc, de temps en temps, il y a eu des petits moments de désaccord, on va dire.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute»
Propos recueillis par Brut
A la demande d’une de leurs filles, le couple s’était fixé la règle de ne pas parler cinéma à table pour cloisonner au maximum vie personnelle et vie professionnelle. Mais la réalité est que le projet les a mobilisé trois ans et que le couple vit avec les fantômes de leurs films.
Je pense qu’on ne retravaillera plus ensemble et que c’est la dernière fois qu’on le fait, en vérité. Le film est assez strong. Je pense qu’on vit avec les films qu’on fait et leurs fantômes qui nous habitent pendant plusieurs années. On a du mal à s’en défaire.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute»
Propos recueillis par Brut
La troisième réalisatrice de l’Histoire à décrocher la Palme d’Or au Festival de Cannes
Cette 76ème édition du Festival de Cannes aura mis en lumière d’avantage de films de réalisatrices ! Troisième réalisatrice et deuxième Française à décrocher la Palme d’Or, Justine Triet fait partie de celles qui continuent à ouvrir la voie…
J’avais beaucoup de mal à m’identifier aux modèles de femmes car il n’y en avait pas tant que ça. Mais les femmes arrivent. C’est très encourageant pour l’avenir.
Justine Triet, Palme d’or pour « Anatomie d’une chute»
La réalisatrice a également profité de la cérémonie de clôture pour partager un discours coup de poing contre la politique du gouvernement Macron en revenant sur la répression des manifestations contre la réforme des retraites et l’usage du 49.3. Un discours vivement critiqué notamment par la Ministre de la culture que la réalisatrice continue d’assumer pleinement :
Cette année, le pays a été traversé par une contestation historique, extrêmement puissante, unanime de la réforme des retraites. Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante. Ce schéma de pouvoir dominateur, de plus en plus décomplexé, éclate dans plusieurs domaines. Evidemment socialement, c’est là où c’est le plus choquant […] mais le cinéma n’y échappe pas. La marchandisation de culture que le gouvernement néo-libéral défend est en train de casser l’exception culturelle française. Cette même exception culturelle sans laquelle je ne serai pas là, aujourd’hui, devant vous.
Extrait du discours de Justine Triet, à la remise de la Palme d’or pour « Anatomie d’une chute»
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Crédit photo couverture – Yanne Baranier