Avez-vous déjà pensé à vous “dépatrixer“ ? À sortir de la patrice, quoi ! La matrice patriarcale ! C’est ce que propose Noémie de Lattre à travers ses spectacles : le premier, Féministe pour Homme, avec lequel elle s’est imposée comme une figure majeure du féminisme pop dès 2017 ; le deuxième, L’Harmonie des Genres, qu’elle défend actuellement en tournée partout en France et dans lequel elle mêle stand-up et chanson, rires et mille émotions. Brillante actrice, autrice, metteuse en scène et productrice, cette magicienne de la langue s’interroge sur toutes nos contradictions et ne manque jamais une occasion de dénoncer ce qui, dans notre drôle de monde, ne tourne pas rond. Sur scène, aux côtés de sa meute de meufs musiciennes, elle chante notamment “Je te hais“ : “Je te hais toi d’emporter le féminin, et de croire que c’est normal de t’emparer de ce qui est mien ; Je te hais toi de dire que tu n’y es pour rien, ou que c’est par amour, ou que c’est pour mon bien.“ Ici, pas de haine, mais beaucoup d’amour pour Noémie de Lattre, dont la pensée et l’authenticité font tellement de bien. Elle s’est prêtée au jeu de l’interview (pas) sage, nous invitant une fois de plus à cultiver la bienveillance envers nous-mêmes.
Crédit photos Noémie de Lattre – Lou Sarda
Pour toi Noémie, que signifie “être sage“ ?
J’ai tout de suite une double interprétation : celle qui arrive en premier, c’est la petite fille sage, “dressée“ en fait, rangée, qui ne dépasse pas. Je me revois avec les joues en feu de devoir être sage. Et l’autre qui arrive tout de suite après, c’est la sagesse, et donc “un“ sage évidemment, un vieil homme sage… Mais ce n’est pas du tout ce que je souhaite penser.
Parce que ce sont des stéréotypes sexistes, en effet ! Est-ce que les choses ont évolué ?
Ce sont toujours les stéréotypes en vigueur, on perçoit toujours les hommes et les femmes de cette façon et on éduque toujours les filles comme ça.
Plus je me permets de regarder le monde, l’humanité, dans sa dimension philosophique et politique, avec un regard capable de le comprendre, plus je me rends compte que la plupart des hommes, avec un petit h, sont l’inverse de sages.
Noémie de lattre
Ce sont juste des gamins qui sont arrivés au pouvoir parce qu’on vit dans ce monde patriarcal, mais qui ont des problèmes de zizi, de maman, des problèmes d’enfance, quoi. Poutine est un enfant. Trump est un enfant. Ce sont des gars puérils, immatures, avec une grande part de bêtise, l’inverse de la sagesse. On l’observe beaucoup moins chez les femmes. Pour survivre, elles ont été obligées de réfléchir à deux trois trucs, elles ont un chemin de maturité de base qui est supérieur aux hommes.
À niveau égal d’intelligence, de compétences, etc, une femme a plus de chances d’être plus sage et évoluée qu’un homme.
Noémie de lattre
Ton dernier spectacle s’intitule L’Harmonie des Genres. Inviter ton public à vivre en harmonie, est-ce aussi l’appeler à une forme de sagesse ?
C’est tout à fait ça, si l’on estime que la sagesse c’est la dépassionnalisation, la prise de recul, c’est-à-dire : “Je ne parle pas de toi, petit monsieur, quand je dis #MeToo“, “Je ne parle pas de toi, petite madame, quand je dis qu’on n’est pas obligée de faire des enfants“. On ne parle pas d’individus mais d’un système. C’est un appel à sortir de la polarisation, de notre expérience personnelle, ou en tout cas à la mettre en regard de l’expérience universelle. On n’est pas obligé de choisir un camp, et certainement pas d’opposer deux camps l’un à l’autre.
Lutter contre la polarisation des sexes au profit d’un continuum de genre, c’est tout à fait un acte de sagesse.
Noémie de lattre
Ce sont des choses que tu défendais déjà dans Féministe pour Homme. Finalement, tu as toujours été sage !
C’est quelque chose que j’ai formulé assez tôt, oui.
J’ai été élevée par une mère tout à fait défaillante, qui a fait ce qu’elle a pu, mais qui ne m’épargnait pas du tout. J’étais au cœur de ses conflits.
Noémie de lattre
Très tôt, je devais avoir moins de 10 ans, j’ai formulé à ma mère à haute voix qu’il fallait qu’elle prenne du recul, qu’elle ne voyait que son point de vue, et qu’il suffisait qu’elle se mette à la place de l’autre pour que tout s’éclaire.
As-tu été une petite fille sage ?
Ce n’était sans doute pas comme ça que je devais être perçue de l’extérieur, pourtant aujourd’hui encore, j’ai des réflexes de petite fille sage. Il y a des choses que je m’interdis, que je me force à faire, au nom de la bienséance… Je ne parle pas fort, je respecte les règles. Si on nous dit d’aller téléphoner sur la plateforme dans le train, j’y vais.
Aimerais-tu être moins sage ?
J’y travaille… Je le suis de moins en moins, mais je le suis encore ! Je le mesure d’autant plus avec l’homme avec qui je vis, parce qu’il a un côté archétypalement masculin, il a les jambes très écartées, il prend sa place, il dit ce qu’il a envie de dire, comme il a envie de le dire, sans même se poser la question… Mais comme c’est par ailleurs un homme intelligent, qui s’interroge, je lui pose toutes ces questions-là, et c’est intéressant de voir tous ces endroits où je lui dis “Est-ce que tu peux parler moins fort s’il te plait ?“ et où l’on explore ensemble : est-ce que c’est moi qui ai raison, lui qui parle trop fort, ou est-ce que c’est moi qui devrais en prendre de la graine, m’inspirer de son comportement plutôt que l’inverse ?
Quelle est la dernière fois où tu n’as pas été sage ?
Un des endroits où ces injonctions à être sage sont les plus fortes c’est la sexualité, parce que c’est là qu’il y a le plus de tabous, qu’on est le moins éduquées… Moi, je me suis rendu compte à quarante ans que je n’avais jamais osé dire autre chose que “Oh oui, oh oui“ à aucune pratique… Alors, depuis mes quarante ans, je travaille à m’exprimer. Très récemment, à un homme qui m’a dit “C’était canon, j’ai kiffé“, j’ai osé répondre “Moi pas trop, ça aurait pu être mieux“. Sur le moment, j’ai été capable de le formuler, là où toute mon histoire m’aurait fait dire “Oui c’était super, moi aussi j’ai kiffé“, point. Pour moi, ce n’était pas sage que de dire “Non, pas trop“, ça a été un gros effort.
Qui est la “vieille sage“ qui t’inspire ?
Lula Oram, une psy transgénérationnelle qui, en termes de sagesse, est une énorme inspiration parce que je vois la lutte en elle. Pour quelqu’un qui ne ressent pas d’émotions, qui est atone, c’est facile d’être sage, donc ça ne me parle pas, parce que je suis une boule d’émotions. Avec elle, on sent qu’elle est dans une vie passionnée, épidermique, qu’elle est une boule de feu mais qu’elle a appris à en faire de l’intelligence, de la générosité. Elle a un regard sur le monde, sur les gens, qui est d’une infinie bienveillance et intelligence.
Sur Instagram, tu partages tes réflexions dans des vidéos que tu conclus avec l’expression “Je pose ça là“. Pour moi, tu es une voix de la sagesse !
C’est tout à fait l’intention ! Le “je pose ça là“, c’est ça ! Ça veut dire “Vous faites ce que vous voulez, il n’y a pas d’injonctions, pas de devoir, que votre sagesse en fasse ce qu’elle veut“. Ça veut aussi dire “Je mets ça au centre, pour que tout le monde puisse s‘en emparer, d’un côté comme de l’autre“…
Avant de nous quitter, quel serait ton conseil de vieille sage ?
Ce serait de systématiquement détricoter, remonter le fil des raisons de pourquoi on fait les choses comme ça. En se posant les questions de pourquoi, pourquoi, pourquoi, on ne se contente pas de répéter, on n’est pas sages, on n’obéit pas aveuglément à des injonctions qui nous échappent, dont on ignore l’origine, le bénéfice… Pourquoi je dois m’arrêter au feu rouge ? Ça, ok. Pourquoi je devrais procréer pour être une femme épanouie ? Ça, pas ok.
Si j’accepte certaines règles, c’est parce que je les ai comprises, en conscience, parce que je me suis posé la question. En se demandant “Ah bon, pourquoi ?“ à chaque fois, on est sûr d’être davantage en cohérence avec soi.
Noémie de lattre
