« On se regarde, on scrolle et on scrute plus que jamais, mais nous voyons-nous réellement ? » C’est la question posée par la chorégraphe Marion Motin qui signe son grand retour à La Villette les 4, 5 et 6 décembre prochain avec Narcisse, son nouveau spectacle interprété par son collectif Les Autres. La dernière fois que j’avais échangé avec Marion, c’était il y a 7 ans : elle était enceinte, m’avait raconté son parcours du hip hop au contemporain, son rêve de danser aux côtés de Mickael Jackson, sa tournée avec Madonna… Aujourd’hui, celle qui a collaboré avec Stromae et Christine and the Queens, revient sur scène dans un spectacle très personnel qui nous invite à trouver notre propre chemin intérieur. Rencontre.
crédit photo de couverture Marion Motin – Leon Prost
Marion Motin, ton nouveau spectacle Narcisse questionne l’égocentrisme de notre société actuelle : un sujet qui te préoccupe particulièrement ?
Je pense que ce sont les questionnements de beaucoup de monde ! Mais oui, notre rapport à l’image me questionne énormément : on se regarde, on scrolle, on scrute, on essaie d’arranger notre image pour correspondre à une trend, à un physique du moment. Je trouve que c’est décuplé dans notre société d’aujourd’hui par l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux : c’est très fort, très rapide, très mondialisé. On et je n’ai pas l’impression qu’il y ait une autoroute vers un chemin de l’intérieur. Tout est mis en place autour de nous pour qu’on ne puisse plus nous tourner vers notre chemin intérieur.
Quel est justement ton propre rapport à ton image ?
J’ai un regard d’une femme de plus de 40 ans qui observe ses rides, voit sa peau qui change….
Je me regarde et je me dis « Merde, je ne correspond pas au codes de beauté » : c’est un peu l’histoire de ma vie, même si je ne suis pas à plaindre.
Ton nouveau spectacle Narcisse est donc une mise en scène de ton propre rapport à ton image ?
Oui, je me mets en scène dans Narcisse pour m’accepter et me regarder avec douceur et amour.
Dans ton spectacle, tu introduis des figures de star, quelle a été ta réflexion autour d’elles ?
Je parle des icônes de beauté et des stars car très souvent on veut ressembler aux personnalités qu’on adore, mais qui en coulisses se déteste. J’évoque notamment Maryline Monroe. Je parle de l’objectivation des corps : en travaillant notre image et en voulant coller à une trend, on ne travaille pas notre contenu mais notre apparence. Le danger avec la starification, c’est d’objectiver leur image, de les considérer comme des poupées qui nous appartiennent. On oublie qu’il y a une âme, une personnalité qui vit des choses dures. Je questionne beaucoup le rapport idole/idolâtré. C’est un peu ce qui se passe dans la création artistique : on veut correspondre à ce qu’on attend de nous alors qu’en réalité, on veut être ce qu’on est fondamentalement.
Toi Marion, tu n’as d’ailleurs jamais voulu qu’on te range dans une case !
C’est vrai, je ne supporte pas qu’on me range dans une case.
C’est mon mantra et mon combat personnel quotidien : je ne veux pas rentrer dans un moule. Je veux être libre. Libre à l’intérieur de moi-même et libre artistiquement. C’est ce que j’ai envie de transmettre aux spectateurs et aux plus jeunes.
C’est pour cela que dans mon spectacle Narcisse je fais appel à l’iconographie des stars : avant que l’on tombe dans la surconsommation et la sur-image, les stars avaient du temps de production pour développer leur singularité. Aujourd’hui les modes remettent en question la pulsion créatrice, alors que je trouve hyper important en tant qu’humain de rester connecter à qui on est réellement. Aujourd’hui, à l’ère des algorithmes qui créent de toute pièce des désirs identiques et prémâchés, c’est compliqué de savoir ce qu’on aime vraiment.
Marion Motin – crédit photo Jasmine Bannister
Ce spectacle est interprété par toi et on collectif Les Autres. Pourquoi ce nom de compagnie ?
Il y a la masse et les autres. Ceux qui rentrent en résistance. Ceux qu’on peut regarder avec mépris mais qui ne se laisseront pas faire.
Marion Motin, la scène a des miroirs au sol qui renvoient leur reflet, vous portez des habits de paillettes… Tout est fait pour refléter l’image des danseurs…
J’avais envie de recréer un côté immersif, de ne pas se regarder uniquement dans les yeux du spectateur. J’ai placé un grand miroir dans le fond de la scène : par moment on voit le spectateur nous regarder. C’est comme une sorte de mise en abyme. J’aime jouer avec plusieurs dimensions.
Vos maquillages sont inquiétants, l’ambiance est sombre… Tu souhaitais un spectacle dark pour parler de cette errance narcissique vaine ?
Dans mon solo, je m’éclate la tête dans le miroir du sol, je n’aime pas mon image, je termine en sang. Je suis prise au piège. Apparemment, mon spectacle est assez angoissant ! Mais j’aime construire mes pièces comme des films et là le sujet est fort, lourd. J’avais envie de sang, de sexe, de souffrance, mais aussi de beauté et de rire. C’est un peu glauque, c’est vrai ! Mais c’est aussi une manière de montrer que ces outils pop et drôles de filtre qui changent notre image et nous font ressembler à tout le monde peuvent devenir franchement glauque quand on s’oublie. J’aime ceux qui s’amusent avec l’image, comme un Jean-Paul Goude par exemple, c’est hyper cool et hyper juste, mais jusqu’où cela reste cool ? Moi ça m’angoisse vraiment.
Quels sont les défis techniques que le collectif a dû relever pour ce spectacle ?
La lumière : comment éclairer les corps avec les miroirs au sol. Et puis ce qui est compliqué pour moi, c’est que j’ai besoin de créer la gestuelle dans le décors. Et là, j’ai dû faire l’inverse. Donc j’ai mis du temps à retravailler ma gestuelle. Je danse aussi dans le spectacle et c’est assez dur à gérer.
Marion Motin, tu m’avais confié il y a huit ans, « La danse est pour moi une chance et une malédiction : je ne peux pas m’en passer, mais elle me dévore ». C’est toujours le cas ?
Oui, il y a des créations qui se passent mieux que d’autres. Celle-ci a été assez chaotique, pour plein de raisons personnelles aussi.
Pendant la création de ce spectacle, je me suis encore dit que je devais arrêter ce métier et aller bosser dans un café. Et puis après les deux premières à Pontoise, j’ai réalisé que j’étais déjà en train de créer ma prochaine pièce. C’est horrible et génial !
Peux-tu nous révéler ce qui te trotte déjà dans la tête pour ton prochain spectacle ?
L’idée est embryonnaire mais j’ai envie de danser sur de la musique italienne et de créer une pièce d’hommes pour rendre hommage aux hommes de ma vie, leur redonner de l’amour car ces derniers temps j’ai eu beaucoup de colère envers eux à cause de prises de conscience sur le patriarcat. J’ai envie de leur dire que nos combats sont compatibles avec tout l’amour que j’ai pour eux, j’ai envie de partager avec eux aussi.