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L’interview (pas) sage de… Frieda

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Je veux pas la vie d’obéissance, je veux pas la vie contre mon silence, je veux pas la vie qui me récompense tant que je fais bien semblant” Le 25 avril 2024, Frieda sort son premier single en français, “Freedom”, et éclabousse le monde de sa lumière. Une chanson tout en négations à travers laquelle elle accepte enfin de se dire “oui” à elle-même. Oui à sa vie d’artiste, ultra classe et inclassable, qui se balade entre la pop, l’électro, le gospel, la trap ou le dancehall, et qui incarne chacune de ses syllabes avec le talent croisé d’une comédienne de théâtre et d’une immense musicienne. Son premier EP de huit titres, Derrière le soleil, est attendu pour 2025. Elle le présente comme “un appel à se dire la vérité” et affirme qu’elle “fai[t] de la musique pour les bon·ne·s élèves, les surperformant·e·s, les people-pleaser et toutes les personnes qui prétendent pour survivre”. Avec elle, pas besoin de prétendre, le coup de cœur est immédiat et inévitable. Si, si, faites le test. Dès les premières secondes, vous comprendrez… Mais avant cela, une interview pour tenter de savoir… Frieda est-elle sage ? Ou pas ? En tout cas, elle n’est certainement pas de passage.

Pour toi Frieda, que signifie “être sage“ ?

Frieda – Un nuage de mots m’apparaît : raisonnable, expérimentée, détachée… Je n’ai pas envie d’y mettre une notion d’âge car ce n’est pas toujours lié. Il y a aussi un côté d’observation, le fait d’avoir bossé sur son ego. Être sage, c’est réussir à prendre de la distance, tirer des leçons des expériences passées, avoir une volonté d’acquérir de la connaissance.

Selon cette définition, est-ce que tu te définis comme quelqu’un de sage ?

Il y a des aspects sur lesquels je le suis. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait le parallèle entre le dating et ma carrière artistique. De plus en plus, j’apprends à choisir mes partenaires artistiques en ne regardant pas trop ce qui brille en premier, ce qui fait trop plaisir à mon ego, comme pourrait le faire un keum qui vient te love bomber. Je commence à me poser la question de ce que je veux, j’observe, pour ne pas tomber dans mes propres pièges. Donc il y a des choses sur lesquelles je suis très sage et d’autres sur lesquelles je suis très déraisonnable, très yolo, car j’aime bien les plaisirs instantanés et simples. J’ai des problèmes de scrollage comme jamais, par exemple, et en même temps je me lève tous les matins pour faire du sport. La discipline et le chaos se côtoient, et la sagesse c’est peut-être d’accepter que ces deux côtés existent.

Dans l’imaginaire collectif, l’adjectif “sage” est souvent associé au féminin. As-tu été une “petite fille sage” ?

Oui, j’ai été le cliché de la petite fille sage, de la bonne élève ! Quand tu me vois sur des photos, j’avais des robes avec des nids d’abeille et des petits nœuds dans les cheveux… J’étais sage parce que j’ai été élevée par des parents quand même relativement stricts. Il fallait avoir des bonnes notes à l’école, être docile, on ne sortait pas, on ne faisait pas de conneries. J’étais un peu bavarde et je me battais avec les garçons, mais ça c’est une autre histoire… (rires). Longtemps, je suis allée là où on m’a dit d’aller : j’ai toujours voulu faire de la musique, mais j’ai fait une école de commerce, j’ai enchaîné sur un premier taf, tout ça…

Quand j’ai dû dire à mes parents que j’étais artiste, j’ai vraiment eu peur d’être rejetée, de les décevoir, car ce truc de rester dans les clous était très important.

Frieda
Crédit photo Frieda ©Sarah Jacquier

Es-tu parvenue à te débarrasser de cette étiquette ?

Il y a encore beaucoup de fois où je sens que mon conditionnement à plaire aux autres, à vouloir être choisie, me pousse à aller à l’encontre de mon instinct ou même de mes propres intérêts ! En tant que femme entrepreneure et artiste, j’ai beaucoup de décisions à prendre, beaucoup de choses à dire et pas beaucoup de temps, donc il faut être tranchée, savoir s’écouter, et je mesure qu’il y a encore du chemin à parcourir… Mais c’est le chemin d’une vie ! J’apprends à me foutre la paix, c’est normal que ça prenne du temps et, parfois, c’est aussi une stratégie de protection. Dans nos carrières, on prend des risques en disant les choses, on s’expose à la censure, mais c’est intéressant d’observer tout ça et de se rendre compte de ce réflexe d’être trop sage, genre “J’ai encore dit ‘oui’ à un truc que je ne voulais pas“.

Quelle est la dernière fois où tu n’as pas du tout été sage ?

C’est en me laissant la liberté de faire la musique que je veux, en fait. C’est exactement ça.

Rien que le fait de me positionner entre la pop, la soul, d’être une femme noire qui n’incarne pas un truc cliché “badass“ mais qui est plutôt dans la sensibilité, c’est un peu un fuck à ce qui est attendu de moi.

Frieda

Et ton titre “Freedom” est un hymne de révolte, n’est-ce pas ?

Quand j’ai quitté mon job dans la production de concerts, avant de me lancer dans ma vie d’artiste, mon boss m’avait dit : “Tu pars, ok, mais pour aller faire quoi ?“. Moi, je ne savais pas. Il m’avait répondu : “On ne part pas quand on ne sait pas ce qu’on veut faire après“. Mais en fait si, on part parce qu’on est en train de crever à moitié !

On est toujours complexés de ne pas savoir ce qu’on veut faire, mais savoir ce qu’on ne veut pas faire, je trouve ça hyper puissant.

Frieda

Quand j’ai décidé d’écrire “Freedom”, donc d’écrire sur la liberté, je savais que c’était un thème très vaste, qui peut être cucul et dur à aborder, mais je suis partie de tous ces “non“, et de cette capacité à les dire.

Nous connaissons toutes et tous l’archétype du “vieux sage”, mais toi Frieda, as-tu en tête une figure de “vieille sage” qui t’inspire ? 

Ma mère. C’est une femme qui a traversé énormément d‘épreuves et qui a toujours une distance par rapport aux choses. Parfois, ça m’énerve, en mode “Mais tu te rends pas compte que c’est grave ?!“, et elle me répond : “Si, si, je comprends, mais en fait ça va aller !“. Elle fait toujours ce qu’elle veut, et je trouve que c’est une forme de sagesse, surtout quand on est une femme. Elle vit sa vie selon ses termes, en service et en relation avec les autres êtres humains – parce que vivre une vie selon ses termes en écrasant les autres, non merci ! Il y a une tranquillité dans sa sagesse qui m’apaise. Quand j’aurai son âge, j’aimerais avoir ce contentement, cette quiétude.

Pour faire référence à notre intuition, nous parlons souvent de notre “petite voix”. Chez toi Frieda, cette petite voix est-elle celle de la sagesse ?

J’ai une petite voix qui ressemble à une voix de la sagesse, mais qui en réalité me ramène à la docilité, en me disant “Tu ne devrais pas faire ci, tu ne devrais pas faire ça“. Souvent, on la confond avec une voix de la sagesse, on l’écoute, mais elle nous empêche, elle nous juge, elle nous fout la honte. Il m’a fallu du temps pour distinguer que c’était pas elle ma voix de la sagesse. Ma voix de la sagesse essaie de me trouver des motivations beaucoup plus saines et nourries par l’amour. Par exemple, j’ai arrêté de consommer de l’alcool il y a deux ans, et la vraie sagesse a été de me dire : “Tu ne prends plus de plaisir, il y a plein de choses que tu as envie de faire dans la vie qui ne sont pas compatibles avec le fait de boire en soirée, tu as besoin de ta voix, de ta forme, d’être stable émotionnellement, d’avoir une hygiène de vie qui autorise ta sensibilité à vivre“. C’est à travers ça que j’ai découvert que je pouvais avoir une voix de la sagesse qui est bienveillante et qui m’aide à trouver des moteurs moins jugeants.

Dans ton titre “Potentialité”, la voix que tu nous fais entendre me semble carrément être une voix de la sagesse : “Maintenant c’est demain, demain c’est maintenant / Je vais lancer le train et me dire que j’invente / Celle que je suis, que je serai / J’ai rien à perdre / Alors je le fais maintenant”. C’est une ôde au passage à l’action !

Le morceau parle du fait d’être coincée mais invite quand même à agir, sans être dans l’injonction. En fait, je sens que j’ai une vraie envie de transmettre mes expériences passées. J’ai hâte de vieillir, j’ai l’impression qu’il y a plein de trucs qui se libèrent avec le temps…

Avant de nous quitter Frieda, quel serait ton conseil de vieille sage ?

Apprendre à faire la différence entre la peur et l’intuition. Ça aussi c’est le taf d’une vie, parce que ça se situe un peu aux mêmes endroits dans le corps. Mais c’est hyper important de savoir si on se retient de faire quelque chose parce qu’on a peur que ça nous plaise vraiment ou parce qu’on sent dans nos tripes que non, il ne faut pas le faire… Ce qui marche vachement pour moi, c’est d’imaginer le best-case scenario et ça me plaît de toujours penser à ce qui peut se passer dans le meilleur des cas.

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Crédit photo Chloé Thibaud ©Solenne Jakovsky
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