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Mathilde Marsal, la violoniste techno

A ceux qui pensent que la musique classique est incapable de faire le grand saut vers la techno, Burning Man et les rave parties, on vous présente Mathilde Marsal, une violoniste virtuose qui a réussi à allier ses deux passions pour un mélange à la fois chic et détonnant. Rencontre sur les toits de Paris avec une musicienne au sommet de son art et de ses convictions.

Comment la musique et surtout le violon sont-ils arrivés dans ta vie? 

La musique a toujours fait partie de ma vie. Je viens d’une famille d’amateurs de musique classique aussi bien que d’autres styles : mon grand-père m’a emmenée très jeune à l’opéra, il jouait de la clarinette, du piano et du saxophone! Ma mère, pianiste amateur, m’emmenait régulièrement aux concerts.

J’ai commencé le piano à l’âge de 5 ans, et j’ai ensuite choisi le violon à l’âge de 8 ans. Pour moi, ça a tout de suite été une évidence : le son, la forme… un coup de foudre immédiat! 

MAthilde Marsal, Le Prescripteur

Tu as suivi une formation particulière très jeune pour le violon? 

Oui, j’étais en classe à horaires aménagés pour la musique dès 5 ans, c’est d’ailleurs comme cela que le violon est entré dans ma vie, lors d’une présentation d’instruments par les professeurs du Conservatoire.

Avant même d’avoir un violon dans les mains, j’avais déjà la vocation de me produire devant un public, et longtemps je me suis entraînée à la maison… devant mes peluches ! C’était très naturel pour moi de jouer, tant du classique que du rock ou du jazz.

J’ai obtenu mes diplômes de solfège du conservatoire à 14 ans mais j’ai quand même souhaité poursuivre des études générales, avec un Bac Littéraire d’abord et en m’inscrivant à la Sorbonne en musicologie ensuite. J’ai enchaîné plusieurs diplômes de front : le Conservatoire de Lille puis de Bruxelles, un Erasmus en Italie pour étudier le violon baroque, suivi d’un autre Master au Royal College of Music de Londres avec un échange à la Manhattan School of New York, et enfin l’Académie de la Scala à Milan pendant 2 ans… Je voulais tout apprendre sur le violon afin de pouvoir créer mon propre style et pas uniquement performer! 

Et d’où te vient ta passion pour la musique électronique

J’ai découvert la musique électronique à 20 ans, grâce aux traditionnels sauts de puce entre le Nord et la frontière belge que font les jeunes pour sortir dans ma région de Lille. J’ai tout de suite apprécié la culture club, mais plutôt la techno des années 90, héritière de la house et du disco.

Mathilde Marsal, le prescripteur

J’avais développé une routine qui mêlait déjà les deux mondes, le Conservatoire durant la semaine, et le week-end en clubs! Cela m’a permis de remarquer les barrières entre la rave et la salle de concert, et j’ai commencé à nourrir le rêve de réunir un public autour d’un style nouveau, qui fasse la jonction entre ces deux mondes! 

Quelle est la rencontre/ le moment qui t’a permis de conjuguer tes deux passions? 

Sans aucun doute ma rencontre avec Dave Clarke, qui est très vite devenu mon artiste électro préféré avant même de le rencontrer, et avec lequel j’ai eu la chance de travailler sur Variations et maintenant sur un album. 

Dave Clarke est extrêmement talentueux et professionnel, il m’a époustouflée par sa formation d’autodidacte! Avec lui j’ai appris à déconstruire par l’expérience et la sensation tout ce que j’avais appris durant mes études. J’ai développé une vision plus instinctive de la musique. Nous ne venions pas du même genre ni de la même formation mais nous avons toujours réussi à nous comprendre grâce à la musique. 

mathilde marsal crédit photo solenne jakovsky pour le prescripteur
Mathilde Marsal – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

Quels sont les musiciens qui t’inspirent en musique classique comme ailleurs? 

En musique classique comme en peinture, le courant impressionniste, avec Debussy et Ravel notamment, dont j’admire le sens de l’orchestration, la couleur et le timbre.

Mais aussi les ballets de Stravinsky comme Le Sacre du Printemps, qui est pour moi autant une référence qu’un modèle de révolution musicale et artistique très inspirant.

Chez les “modernes et contemporains”, la musique sérielle atonale de Messiaen qu’il compose avec ses propres modes, et Arvo Pärt dans le courant minimaliste.

L’Islande avec Ólafur Arnalds, Hildur Guðnadóttir, et plus globalement les influences nordiques auxquelles je suis sensible.

Les “néo-classiques”, ceux auxquels je m’identifie, qui ne peuvent pas être rangés dans une case: Max Richter, Nils Frahm, Thomas Farnon, Kyle Preston.

Les compositeurs de musique de films tels que Hans Zimmer, John Williams, Ennio Moricone, Michel Legrand, Ludovico Einaudi, Nicholas Britell, Martin Phipps, Dario Marianelli pour n’en citer que quelques-un. 

Thomas Roussel (aka Prequell) est également un compositeur actuel qui m’inspire avec lequel j’ai l’habitude de travailler. J’ai notamment eu l’occasion de jouer et d’enregistrer en violon solo avec son orchestre au Monte Carlo Gala et à la Seine Musicale.

Tu as aussi joué avec Eminem, tu es donc ouverte à tous les types de musique? 

Bien sûr, c’est une évidence et un bonheur pour moi de sortir du classique pour rencontrer d’autres genres! Mon principal sujet de recherche de Master à la Sorbonne était le violon jazz et j’ai d’ailleurs écrit un mémoire sur Stéphane Grappelli. Mes autres références (que j’ai eu pour certains la chance de rencontrer directement) sont Didier Lockwood, Jean-Luc Ponty, Eddie South, Michel Warlop et Stuff Smith. 

Je suis aussi fan de rock britannique avec pour principales références Queen, David Bowie et les Rolling Stones. Ce sont pour moi des temples de la musique en général.

Pour Eminem, je dois avouer que je n’étais pas convaincue au départ, mais en découvrant l’écriture des morceaux faite pour un petit ensemble à cordes et en étant sur scène devant 90 000 personnes, c’est devenu l’une de mes plus belles expériences! 

mathilde marsal, le prescripteur

Je travaille aussi beaucoup avec l’orchestre Metropole d’Amsterdam qui mêle volontiers le classique avec la pop, le jazz, la musique de film… c’est l’orchestre qui correspond le plus à mon profil atypique!

Mathilde Marsal – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

On te voit improviser mais aussi composer lors de tes collaborations avec différents artistes comme Parallelle ou Dave Clarke, comment te prépares-tu à ce type de performance un peu particulier? 

Au début, lorsqu’on m’a sollicitée pour des performances électro, j’étais très spontanée, tant dans ma réponse que dans mon interprétation. J’ai eu l’opportunité de jouer deux fois à Burning Man notamment. 

Maintenant que j’ai plus d’expérience, je prépare mes performances en amont et je mets donc plus de temps à accepter des collaborations car je souhaite y mettre toute ma passion, que chacune ait un sens. Je laisse toujours une large part à l’improvisation, dans n’importe quel type de performance, notamment lors de mes concerts télévisés (Variations, Le Grand Échiquier), en festivals comme au DGTL où j’ai joué en avril dernier, ou encore lors de mon livestream filmé par des drones à Cappadocia.

Quel est ton souvenir le plus marquant de scène électronique? 

Encore une fois Variations : l’installation à l’aéroport Charles de Gaulle était dingue, le public varié en âge et en goûts musicaux. Cette performance représente la quintessence de ce que je souhaite créer en musique : la rencontre de deux mondes autour d’un nouveau style. Ma mère est fan de classique et plutôt néophyte de techno, mais elle a compris Variations, l’objectif a donc été atteint! 

Et de scène tout court ? 

La Scala de Milan, de mon premier concert à mon plus récent où j’ai joué Le Sacre du Printemps en tant qu’assistante concertmaster avec le Ballet de Tokyo.

Cette salle a toujours représenté un rêve pour moi avec un grand-père fan d’opéra! 

J’ai assisté à des concerts durant mon année d’Erasmus à Milan, et un an plus tard j’étais sur cette scène, c’était incroyable! Tout comme les tournées qui ont suivi aux Etats-Unis, à Oman et au Moyen-Orient. 

Tes interprétations sont très axées sur l’émotion, or on reproche à la musique électronique et spécifiquement à la techno d’en manquer, qu’en penses-tu? 

Je pense que du point de vue d’un musicien classique, il y a une certaine frustration à voir le succès de certains DJs en un an ou deux quand ils ont de leur côté travaillé toute leur vie et depuis leur plus jeune âge pour réussir.

mathilde marsal, le prescripteur

L’apprentissage d’un instrument de musique (surtout le violon) demande tellement de rigueur, de travail et de discipline qu’il est impossible d’y arriver en quelques années. C’est en réalité le travail d’une vie, car on ne cesse jamais d’apprendre dans ce domaine.

De mon côté je ne ressens pas cette frustration, car c’est la musique électronique – notamment la techno – qui me fait ressentir le plus d’émotions avec la musique classique ! Elle me permet de déconstruire ce que j’ai appris, de ne plus rationaliser et de travailler à l’instinct, et ainsi de créer un style différent qui me correspond totalement ! 

La composition d’un track techno se rapproche pour moi de celle d’une symphonie.

mathilde marsal, le prescripteur

La superposition des textures sonores est l’élément fondamental de ces deux musiques. Ce sont également deux musiques qui fonctionnent généralement sans avoir besoin d’inclure de la voix, il est donc plus difficile d’y faire passer une émotion que dans le rock, le rap ou la pop. Elles sont autonomes et s’alimentent de sources différentes, avec un langage idiomatique basé sur les sons et non les mots. Dans les deux cas, quand le morceau est réussi, il me transporte quel qu’en soit le genre! 

Est-ce que tu considères que s’opère actuellement, et grâce à toi notamment :), un décloisonnement de la musique classique et de son statut  “sacro-saint”? Et quelles sont selon toi les prochaines étapes à franchir ? 

Oui, je pense que les collaborations comme celle que j’ai pu construire avec Dave Clarke donnent accès à la compréhension d’un autre style.

J’ai envie de continuer à dépoussiérer le classique, de pouvoir faire un concert classique dans un entrepôt de rave party, ce qui permet de décloisonner les genres et de faire sauter les limites à tous les niveaux ! 

mathilde marsal, le prescripteur

Les compositeurs classiques travaillent aussi de plus en plus avec les nouvelles technologies, c’est un autre champ à explorer et une nouvelle étape à franchir dans la rencontre entre le classique et l’électro.

Après tant de performances incroyables, quel est le prochain rêve que tu souhaites réaliser ? 

Continuer de produire en studio, terminer mes projets d’albums. Et surtout poursuivre la scène en y jouant aussi bien du classique que mes compositions, en recréant Variations et Le Grand Échiquier à ma sauce pour aller encore plus loin dans les liens à créer entre les genres, et plus largement entre les arts. Tout se rencontre sur scène! 

Quels sont tes projets/actu pour cet été? 

Je vais partir en tournée aux îles Canaries avec l’orchestre Metropole d’Amsterdam pour jouer dans un festival international de jazz, puis me produire dans un festival en Belgique avec mes compositions, une première! J’ai ensuite pas mal de dates et de tournages de clips prévus en Hollande, au Portugal, en Turquie, notamment dans le sanctuaire antique de Labraunda. Je viens également de remporter une audition pour jouer avec l’Orchestre Philharmonique du sud des Pays-Bas, et j’ai déjà des dates de concerts avec eux à Maastricht en Septembre.

Dans un style plus électro, je vais me produire en solo mais aussi avec ARC (mon compagnon) en DJ set à De Gashouder, temple de la musique techno à Amsterdam.

Et enfin mais surtout terminer mon album, j’ai déjà 6 pièces prêtes sur 10 ! 

Tu as une allure aussi distinctive que ta musique, comment définirais-tu ton style mode ? 

Je dirais que mon style ressemble à ma musique : néo-classique, simple avec une touche d’excentricité ! J’aime avoir mon propre style, et comme dans ma musique j’aime me présenter en tant que française.

Pour Variations par exemple, j’avais opté pour un haut assez classique mais assorti d’une jupe fendue imprimée panthère et des plateformes ! 

Un rituel de beauté extérieur/intérieur avant de monter sur scène ? 

Quelque soit la taille de la salle, j’essaye de me recentrer, de bien respirer et de faire abstraction de ce qui se passe autour de moi. Je me mets dans ma bulle et dans ma musique! 

J’applique systématiquement un rouge à lèvres rouge noir Chanel avant de monter sur scène. Il signe l’allure que j’aime, classique avec une touche gothique ! 

Mathilde Marsal, le prescripteur

Suivez l’actualité de Mathilde Marsal sur Instagram : @mathildemarsal 

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