« Mon inavouable », un titre mystérieux pour un premier roman aussi moderne que brûlant dont les pages se tournent comme celles d’un policier. Sa pétillante autrice, Sophia Salabaschew, nous dévoile quelques secrets de cette belle histoire intime de femme et de liberté. On aimerait déjà être sous le parasol pour la dévorer !
Mon inavouable est ton premier roman. Comment en es-tu venue à l’écriture ?
C’est vrai que pour écrire son premier roman à 40 ans, le parcours de vie doit être soit rocambolesque, soit farfelu, soit les deux !
En fait, j’ai toujours aimé écrire, créer, inventer, raconter des histoires. Je suis docteure en anthropologie et j’ai travaillé pendant 15 ans dans le milieu documentaire, j’adorais alors l’idée de transmettre par l’image et le son une autre vision du monde.
Et j’ai découvert la liberté de l’écriture ! Pas besoin de budget, d’équipe ni de moyens, juste d’un papier, d’un crayon, de temps et d’imagination pour façonner un monde, un univers ! C’est magique.
Quels sont les auteurs/autrices qui t’inspirent?
Je suis très hétéroclite dans mes lectures, j’aime les histoires mais surtout la façon dont elles sont racontées. Une phrase bien tournée me met dans tous mes états. Avant l’écriture de Mon inavouable, j’ai relu certains livres pour m’inspirer justement de leurs forces. Tout en haut de ma pile, je mets L’amant de Marguerite Duras, qui est le seul livre que je peux lire et relire sans jamais me lasser. J’aime qu’il soit court, cru, poétique, schizophrénique entre la vieille femme qui se rappelle et la jeune fille qui vit l’histoire.
Il y a La chamade de Françoise Sagan, pour sa modernité et ce personnage de femme perdue entre deux hommes, deux vies, deux destins possibles.
La promesse de l’aube de Romain Gary pour son humour, son talent de conteur et le mélange entre l’autobiographie et l’invention littéraire.
Mon oncle Oswald, une nouvelle de Roald Dahl, qui raconte une histoire dans une histoire, imbriquée dans une autre histoire, c’est surréaliste, drôle, abyssal !
Allemagne conte cruel, de Viktor Paskov, un écrivain bulgare incroyable, qui se raconte avec une noirceur et une poésie envoûtantes.
Et enfin Lolita de Nabokov pour son côté transgressif : l’auteur réussit à nous plonger dans la tête et le mécanisme d’un homme et sa folie.
Ta scène d’ouverture sur une insémination artificielle est très puissante, qu’est-ce que tu as voulu faire passer comme premier message sur la situation de ton héroïne au début du roman ?
Les premières pages nous placent du point de vue de l’héroïne qui subit. Elle est là, allongée, jambes écartées, à moitié nue, deux hommes au-dessus d’elle, qui discutent entre eux, un qui la doigte, l’autre qui regarde, et elle ne dit rien, ne bouge pas. On ne sait pas trop s’il s’agit d’un viol, ou d’une scène de sexe à trois, mais c’est en fait sa première insémination artificielle.
Et mon héroïne comprend à ce moment précis qu’elle ne veut plus être considérée comme un objet, elle veut être un sujet à part entière. A partir de cette scène, elle mettra 9 mois à accoucher d’elle-même, à se transformer en femme vivante.
Ton héroïne et son amant n’ont pas de nom, et tu les décris peu, leur histoire d’amour passionnelle est le centre du roman, pourquoi ce parti-pris ?
Je trouvais assez drôle de jouer avec le pouvoir des mots. Le fait de nommer pour faire exister, et surtout de ne pas nommer pour ne pas faire exister. On se situe dans la tête de l’héroïne, elle est « je » et tente justement de se définir, de se redéfinir pendant toute l’histoire pour exister.
Personne n’est nommé dans mon roman. Il n’y a pas de prénoms, tous les hommes sont « il » que ce soit l’amant, le mari, le père, le frère… et c’est le contexte qui révèle l’identité de chacun lors de ses tergiversations mentales.
Pour son amant, la stratégie est différente, elle décide volontairement de ne pas le nommer pour ne pas le faire exister dans sa vie, dans sa réalité. Elle pense que tant qu’elle ne l’appellera pas par son nom, il restera un fantasme, une illusion, une abstraction.
Tu as un point de vue bien à toi sur l’érotisme, avec un regard à la fois précis et humoristique, comment as-tu réussi ce mélange des genres ?
C’est une histoire d’amour passionnelle, une passion adultérine, je ne voulais pas omettre le cœur de l’action de cette relation qu’est le sexe. C’est érotique, parfois pornographique.
Elle voudrait avoir une aventure d’un soir, comme quelqu’un qui pourrait prendre du plaisir uniquement par le physique, mais elle n’arrive pas à ne pas aimer entièrement. On est dans sa tête, dans toutes ses maladresses et questionnements au moment d’aimer, de se donner, de jouir.
Les chapitres s’intitulent tous “Mon Il” avec des variantes, pourquoi ce choix ?
Quand je marche, quand je conduis, quand je suis seule avec moi-même en fait, j’ai des fulgurances, et celle-ci m’a bien fait rire. Comme elle ne le nomme pas, il est « il », mon il, mon île, mon île flottante, mon illogique, mon illégitime, mon Ille-et-Vilaine !
Je trouvais ça assez poétique de jouer sur les déclinaisons des « il » possibles, selon la thématique des 17 chapitres. Un peu comme des titres de chansons, qui donnent l’idée sans trop en révéler.
Le parcours de cette femme qui passe de ce qu’on attend d’elle à ce qu’elle veut d’elle est à la fois très fort et très contemporain, est-ce que tu l’as beaucoup observé autour de toi ?
Je trouve effectivement que de plus en plus de femmes ou d’hommes assument le fait de vouloir être heureux par eux-mêmes et tout de suite. Ils n’ont plus envie de subir toute leur vie en espérant un paradis hypothétique futur. Chacun a la capacité du bonheur s’il s’en donne les moyens. Nous sommes une génération qui revendique ouvertement le besoin d’être heureux sans dépendre forcément de la volonté des autres. On se donne le choix de ne plus s’enfermer dans un mariage ou une relation si celle-ci n’est plus épanouissante.
Quels idées reçues as-tu chercher à déconstruire avec ce personnage de femme qui se construit ?
Justement j’ai cherché à déconstruire le schéma d’une personne emprisonnée dans des choix passés qui ne lui correspondraient plus.
Elle déconstruit cette belle enveloppe qu’elle s’était fabriquée par le regard des autres, pour se découvrir elle-même pleine de vie, de force et de liberté.
La famille et les racines occupent une assez grande place dans ton livre, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Je pense que pour avancer et trouver une certaine harmonie dans la vie, il faut faire la paix avec son passé, sa famille, ses racines. Comme dans beaucoup de premiers romans je me suis inspirée de mon histoire et des questionnements auxquels j’essaye de répondre dans mes différents travaux (par une thèse scientifique de 780 pages ! Et là, plus légèrement, par le roman).
… sa place dans sa famille, dans son couple, dans sa féminité, dans sa maternité, dans ses origines qu’elle finit par assumer et apaiser grâce à cet amant des Balkans qui la révèle entièrement.
“Mon inavouable” n’est pas un policier et pourtant on tourne les pages sans s’arrêter, quel est le mystère qu’il y a à résoudre ?
C’est drôle, mon éditeur m’a dit que mon roman était en fait un polar. Je ne l’ai pas écrit comme ça, c’est plus pour moi un roman psychologique, mais c’est vrai que les codes s’y retrouvent. Il y a un point de départ avec l’insémination et cette quête pour devenir mère ou non, un crime commis par le mari qu’elle n’arrive pas à mettre en mots et qui la hante, une intrigue puisque cette femme trompée veut se venger par tous les moyens, des personnages mystérieux comme cet amant serbe, une ligne de temps tendue entre les chapitres, et surtout une enquête pour essayer de comprendre qui elle est, ce qu’elle veut devenir, et surtout ce qu’elle ne veut plus être.
Après “Mon inavouable” est-ce que tu travailles déjà à un deuxième roman ?
Je suis déjà en pleine écriture de mon deuxième roman. Ce sera une sorte de préquel de Mon inavouable où je questionnerai sous un autre angle la thématique de l’emprise et du choix kafkaïen d’un destin plutôt qu’un autre. Mais dans ma tête, je suis encore plus loin puisque j’en suis à la construction mentale de mon sixième roman ! J’ai déjà hâte !
Mon inavouable de Sophia Salabaschew, aux éditions Plon
Suivez Sophia sur Instagram : @sophialoca
Crédit photo – Ty Finck (couverture)