Paris est la capitale mondiale des livres ! Avec pas moins de 626 librairies dont 27 maisons centenaires et 14 en activité depuis plus de 150 ans, les livres se distinguent de façon éclatante. Librairie philosophique, librairie théâtrale, librairie anarchiste, librairie anglaise, librairie de BD, des textes latins de l’Antiquité jusqu’aux mangas, des millions de livres sont disponibles dans les rues de la ville… Rencontre avec Alexis Margowski, celui qui célèbre la « bibliodiversité » (sic !) de Paris dans son livre « Paris est un livre » paru aux éditions Kéribus.
Les célèbres 230 bouquinistes qui entourent Notre-Dame de Paris depuis plus de 450 ans, les statues d’écrivains, les plaques mémorielles, les hôtels et cafés littéraires, les bibliothèques, les clubs de poésie viennent rappeler l’extravagante bibliodiversité parisienne et le bouillonnement incessant du monde des lettres.
Alexis Margowski,
auteur de « paris est un livre »
Alexis Margowski, « Paris est un livre » est une triple déclaration d’amour : l’amour du livre papier, l’amour des libraires indépendants et l’amour de Paris. Pouvez-vous me décrire comment vous vivez ces trois passions ?
Alexis Margowski – Ces trois amours sont un et un seul.
Le livre de papier se fait absolument indispensable à l’ère des nouvelles technologies et de la surabondance informationnelle. Et plus le temps passe, plus le livre est urgent ! J’irai même jusqu’à dire que la lecture de livres et une sélection éclectique s’avèrent salutaire pour préserver une bonne santé mentale !
L’amour des librairies, c’est une histoire de gourmandise. Je suis gourmand de récits et de mots. J’adore la langue française, les dictionnaires et les mots, je les collectionne, je traque ces petites formes que nomme la romancière Nathalie Sarraute « ces lutins curieux, excités, impatients. » dans Ici (1995). Une phrase parfaite, originale, une pensée limpide sculptée dans le marbre du papier, c’est de l’énergie pure pour moi. Un fortifiant. L’écrivain Régis Jauffret conclura royalement lors d’une émission de radio : « Les mots c’est de l’or ! »
De fait, les librairies, ces précieuses boutiques d’esprit, sont irremplaçables, et Paris est unique en cela. L’idée de voir disparaître ce qu’il reste de l’extravagante bibliodiversité de cette ville me révolte. Loin d’être moi-même technophobe, je suis horrifié par cette suprématie des écrans, qui est devenu une vraie tyrannie face à laquelle beaucoup d’entre nous restent impuissants. Permettez-moi de recommander deux lectures à propos de cette crise de l’esprit : « Schizophrénie numérique » de la philosophe Anne Alombert aux éditions Allia. Et « Louée soit la lecture » aux éditions des Equateurs, une lettre révolutionnaire écrite par le Pape François et publiée en pleine période de célébration des Jeux Olympiques de Paris. Essentiel !
De cette rage intérieure et animé par ma passion pour la littérature a surgi une étincelle : Ecrire mon hommage à ce talent si français qu’est l’art du livre, un manifeste pour la défense de ce qui reste du monde des livres et de l’importance de la littérature…
Votre livre est une déambulation photographique : qu’avez-vous choisi de montrer ?
Alexis Margowski – Mon point de départ est l’univers intime du libraire. Passer la porte, entrer dans l’intimité d’un passeur de livres, faire ressentir le métier ainsi que sa personnalité par quelques détails du quotidien, par tout ce qui transpire le livre : sa vitrine, son bureau, sa collection de livres, la couverture d’un volume rare, une reliure particulière, une ambiance, un bout de papier scotché sur la porte d’entrée de la librairie Les Cahiers de Colette (rue Rambuteau, Paris, 3e) où se lit « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être heureux encore. Jules Renard ». Un autre avertissement au passant découpé et collé dans la vitrine d’une autre officine « Attention, risque de coup de foudre. » Cette librairie spécialisée en documentation d’art et catalogues d’expositions connue sous le nom de Courant d’Art (rue de Vaugirard, Paris, 6e) a fermé ses portes en 2023.
Je n’ai jamais envisagé « Paris est un livre » autrement qu’en mots et en photographies. Cet ouvrage se devait d’être à la fois une aventure de l’esprit et l’oeil, une fresque où au même moment Victor Hugo, Adrienne Monnier, Khaled Miloudi, Jacques Roubaud, Camille Aubaude, Patricia Sorel, Théodore de Banville et d’autres écrivains racontent leur passion des livres et se rencontrent dans le Paris d’aujourd’hui, tel qu’on le connait, côtoyant au fil des pages Marguerite d’Angoulême, poétesse, reine de Navarre et protectrice des écrivains, mais aussi Marguerite Duras, Violette Leduc et la philosophe humaniste Simone Weil qui habite rue Auguste-Comte entre 1929 et 1940…
Le photographe Martin Bruno a su prendre l’importance du sujet à merveille, je ne pouvais rêver mieux, et nous nous sommes mis à déambuler dans le livre-monde qu’est Paris, en route vers les librairies savantes, secrètes, curieuses, folkloriques jusqu’aux librairies les plus célèbres ou impersonnelles, en gardant toujours à l’esprit l’importance et la signification de l’art statuaire et des plaques commémoratives qui honorent la littérature dehors, en plein air, afin de donner à voir la beauté des livres qui surgit du dedans vers le dehors dans les environs de la librairie. Qu’aperçoit-on sur les chemins qui mènent aux six cents librairies ?
Un cliché vous a-t-il plus touché que les autres ?
Alexis Margowski – La photographie que nous avons choisie de mettre en couverture est une de mes préférées…

Trois têtes de lions crachent de fins jets d’eau, une muse immaculée, l’allégorie de La Comédie sérieuse, tient un parchemin les yeux rivés vers le ciel, une sculpture signée Jean-Jacques Pradier (1792-1852), au-dessus de laquelle a été apposée la forme malicieuse d’un Space Invaders et à ses pieds, sur le rebord de cette monumentale fontaine Molière, est assis le jeune homme au pantalon rouge, un livre ouvert dans les mains, embarqué sur un mot…
J’ai l’impression que cette photographie prise sur le vif au coeur de Paris, dans le 1er arrondissement, et cette fontaine hommage élevée en l’honneur du poète en 1844 inaugure parfaitement cette quête passionnée sur la puissance de la littérature et l’art de lire.
J’adore aussi la photographie de cette jeune femme à la veste de cuir noire, page 39. Elle lisait Le Petit Prince au bord du canal Saint-Martin. J’étais là à ce moment précis, je l’ai vue de mes yeux. Martin Bruno a révélé la splendeur d’un reflet d’eau, d’un ciel liquide contenant un livre, une lectrice et l’ange de Saint-Exupéry, n’est-ce pas magnifique ? Voilà ce qui est possible à Paris, l’incomparable ville, la capitale mondiale des livres !
Vous donnez la parole à des auteurs, des libraires, des philosophes… beaucoup d’hommes mais parmi eux, une femme : Adrienne Monnier. Qui est-elle ?
Adrienne Monnier (1892-1955) est la grande libraire et éditrice de la rue de l’Odéon (Paris, 6e). Dès que vous vous intéressez de plus près à l’histoire contemporaine de la librairie française, Adrienne Monnier devient incontournable.
Alexis Margowski,
auteur de « paris est un livre »
Je me suis procuré deux de ses livres, un recueil de souvenirs intitulé Rue de l’Odéon paru chez Albin Michel en 1960 et Fableaux aux éditions Mercure de France paru en 1932.
Cette figure emblématique du livre, nommée Chevalier de la Légion d’honneur en 1937 pour les 25 premières années de sa carrière littéraire, a su magnétiser et attirer dans sa boutique ouverte en 1915 et baptisée « La Maison des Amis des livres » les plus grands poètes et esprits de son temps. Adrienne Monnier fut avant tout une lectrice féroce qui aurait voulu lire tout ce que l’humanité avait écrit de mieux. Son appétit littéraire et sa curiosité étaient sans égal.
Durant les deux guerres mondiales les parisiens, privés de tout, tenteront de combler un vide béant avec le secours des livres. La littérature comme évasion, la littérature pour mieux supporter les souffrances de l’Occupation. Ce faisant, la librairie de la rue de l’Odéon jouera le rôle supplémentaire de cabinet de lecture, fonctionnant comme une bibliothèque de prêt aujourd’hui.
C’est une femme libre, avant-garde, d’une grâce et d’une douceur sans pareil racontent ceux qui ont eu la chance de la rencontrer, parmi eux Léon-Paul Fargue, Guillaume Apollinaire, Gertrude Stein, Paul Valéry, Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Jean Cocteau, André Breton, Anaïs Nin, Colette et tant d’autres.
Avec son amie de toujours et compagne Sylvia Beach, la libraire américaine qui a fondé Shakespeare and Company, elles contribueront à l’édition originale d’Ulysse de James Joyce et à sa publication en 1929 en France, alors à ce moment interdit aux Etats-Unis et en Angleterre. Ce roman qualifié de « cathédrale de prose » est considéré comme un chefs-d’oeuvre littéraires du XXe siècle.
Donc arpenter l’âme littéraire et poétique de Paris ne pouvait se faire sans une escale prolongée dans l’Odéonie d’Adrienne Monnier et Sylvia Beach, et saisir la profonde influence qu’elles ont eu dans la vie artistique et intellectuelle de l’entre-deux-guerres à Paris.
Quels textes d’elle avez-vous sélectionnés pour votre livre ?
La présence d’Adrienne Monnier dans Paris est un Livre était cruciale pour moi. J’ai choisi deux textes d’elle, tirés de la dernière partie de Rue de l’Odéon.
Le premier s’intitule « La Maison des Amis des Livres ». Adrienne Monnier détaille l’état d’esprit et la foi qu’il faut cultiver pour remplir convenablement la mission de passeur de livres… Quelle philosophie de vie incarner pour réaliser au mieux ce métier de libraire.
En lisant ce texte d’une grande beauté, j’ai pensé que cela pouvait être probablement le manuel idéal pour de jeunes libraires en devenir. Un manifeste admirable !
Alexis Margowski,
auteur de « paris est un livre »
Le deuxième texte que j’ai adoré et souhaité pour mon livre, c’est « Éloge du livre pauvre ». Adrienne Monnier y raconte ses premières rencontres avec les livres, l’entrée en littérature de l’enfant qu’elle a été et explique de manière très subtile comment apprécier les livres pauvres autant (si ce n’est plus) que les livres riches, sans renier les livres revêtus de beauté.
Ce sont les livres pauvres qui assurent (aux grands livres) une circulation obscure, vitale, comme le cours du sang ; eux, qui par leur humilité en maintiennent la gloire.
Extrait de « Eloge du livre pauvre »
d’Adrienne Monnier
Vous signez tous vos emails avec cette phrase : « Pour voyager loin, il n’y a pas de meilleur navire qu’un livre. » Emily Dickinson (1830-1886). En quoi vous sentez-vous proche d’Emily Dickinson ?
Quel joli navire, un livre… non ? Le poème est intensification, le poème est incantation, le poème est invocation.
Alexis Margowski,
auteur de « paris est un livre »
J’avoue avoir une fascination certaine pour toutes les poétesses et poètes de ce monde. Je ne me sens pas plus proche d’elle que de Henry David Thoreau, Walt Whitman, Anna Akhmatova ou Friedrich Nietzsche. Je les admire tous, les connais tous encore très peu, mais suis aimanté à eux, à leurs oeuvres à tous.
Je suis l’éternel étudiant.