Lets’ talk about sex ! Sur Prescription Lab, on a l’habitude, mais cette fois avec Leïla Slimani, auteure de Sexe et mensonges, on va vous montrer que le sexe est aussi un révélateur social. Dans ce recueil de témoignages, la romancière qui a reçu le prix Goncourt pour Chanson douce en 2016, donne la parole aux Marocaines pour parler de leur corps et de ce qu’elles font (ou ne font pas) avec. Radiographie d’une société coupée en deux.
Imaginez…
Vous descendez dans le métro le matin en mini-jupe et les autres femmes vous regardent de travers. Sur votre lieu de travail, votre supérieur (homme ou femme) vous demande de retourner illico chez vous et de revenir habillée correctement. C’est-à-dire en pantalon ou en jupe longue. Imaginez-vous maintenant un samedi soir : vous décidez avec des copines de sortir et lorsque vous rentrez dans un café, vous vous rendez compte que les seules femmes admises sont des prostituées. Le propriétaire des lieux vous demande de vous en aller si vous êtes une fille « bien ». Imaginez encore un soir d’été : il a fait étouffant toute la journée et vous voulez profiter de la fraîcheur de la nuit en vous promenant avec votre meilleur ami M. Au bout de cinq minutes, un policier vous arrête et vous demande si vous êtes mariés, ou si M. est votre frère. Comme ce n’est pas le cas, l’homme vous demande de rentrer chez vous et vous menace de vous emmener au poste si vous n’obtempérez pas. Autant de scènes « ordinaires », que vous trouverez à la pelle dans l’indispensable livre de la romancière Leïla Slimani, Sexe et mensonges.
Briser un tabou
C’est à l’occasion d’une tournée dans son pays d’origine, le Maroc, pour présenter son premier roman, Dans le jardin de l’ogre, que Leïla Slimani commence à recueillir, d’abord de façon imprévue, ses premiers témoignages auprès de femmes marocaines. Son roman, l’histoire d’une nymphomane, est propice à délier les langues. Très vite, Leïla Slimani se rend compte du niveau de frustration énorme qui existe chez la majorité de ses lectrices. Si son but n’était pas d’écrire une étude sociologique, elle a tenu à « livrer une parole brute (…) vibrante et intense. En me racontant leur vie, en acceptant de briser des tabous, toutes ces femmes m’ont signifié une chose : leur vie a de l’importance. »
Au Maroc, la femme est encore une intruse dans l’espace public.
Appel à la mixité
L’auteure a donné la parole à seize Marocaines autour desquels elle a articulé ses chapitres pour mettre en avant les dysfonctionnements de la société marocaine en matière de sexualité et de droits des femmes. Evidemment les deux sont liés, et elle appelle de ses vœux à une véritable mixité. « Pour les Marocains, ce combat est très récent. » Au Maroc, la femme est encore une intruse dans l’espace public. Leïla Slimani rappelle cependant que le sexe est très présent dans les discussions des femmes, mais à l’abri des murs, et dans la littérature arabe contemporaine. « On la retrouve chez Mohamed Choukri, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Leftah, Abdellah Taïa. (…) Et même la littérature érotique chez des femmes comme la Libanaise Joumana Haddad, la mystérieuse Nedjma ou la Syrienne Salwa Al Neimi avec son livre La preuve par le miel. »
Leïla a elle-même été arrêtée une fois quand elle était plus jeune, dans une situation délicate avec son petit ami.
Toutes et tous obsédé(e)s par le sexe ?
Comment ne pas être obsédé(e) quand vous grandissez dans une société où la liberté sexuelle n’existe pas ? Au Maroc, la loi interdit les relations adultères – pouvant être punies d’un à deux ans de prison selon l’article 491 du Code pénal -, les relations sexuelles hors mariage – article 490, qui prévoit un emprisonnement d’un mois à un an – et l’homosexualité – article 489, qui prévoit un emprisonnement de six mois à trois ans de prison. De même l’avortement est interdit alors que l’on dénombre 600 interruptions volontaires de grossesse chaque jour au Maroc dans des conditions souvent atroces. Il résulte de ces interdits une grande misère sexuelle « dont les conséquences sont devenues clairement politiques ». Pour Leïla Slimani, « la misère sexuelle s’inscrit dans un contexte général de misère sociale de la jeunesse : chômage, absence d’offre culturelle, fermeture des frontières européennes, islamisme radical. » Issue elle-même de la bourgeoisie marocaine, élevée dans une famille qui lui a appris que son corps lui appartenait mais que la société la jugerait autrement, Leïla a elle-même été arrêtée une fois quand elle était plus jeune, dans une situation délicate avec son petit ami.
Privés de cette liberté sexuelle, beaucoup de jeunes Marocains ne connaissent pas non plus la notion de plaisir et de tendresse.
A la recherche du plaisir
En règle générale, lorsque vous avez de l’argent, une voiture, un appartement, le problème d’avoir une sexualité satisfaisante ne se pose pas, en revanche, si vous n’avez aucun endroit où aller abriter vos amours clandestines (les hôtels refusent de louer une chambre à des couples non mariés), cela devient impossible d’accéder à une quelconque intimité avec son/sa partenaire. En outre, privés de cette liberté sexuelle, beaucoup de jeunes Marocains ne connaissent pas non plus la notion de plaisir et de tendresse.
Une culture de l’omerta
Si ce livre fait tant de bruit, c’est parce que Leïla Slimani, toute auréolée de son prix Goncourt, jette un pavé dans la mare silencieuse de la société marocaine. Parler de sexe, tout comme avoir des relations sexuelles pour le plaisir, en-dehors des règles édictées par la loi, reste soit interdit soit caché. « La chose la plus importante, c’est cette question de l’omerta », martelait encore la jeune femme sur France Inter au micro de Nicolas Demorand le 28 août dernier. C’est cette culture du secret, du mensonge et de l’hypocrisie à laquelle elle s’attaque avec panache et courage.
Sexe et Mensonges. La vie sexuelle au Maroc, Le Arènes, 192 p., 17 euros.