Journaliste, réalisatrice, autrice, militante antiraciste et féministe française, Rokhaya Diallo impressionne par ses multiples casquettes et se bat depuis plusieurs années contre toutes formes d’inégalités sociales. Parmi ses combats : le racisme et le sexisme. Rencontre avec une femme qui donne envie de se bouger pour la nouvelle année !
Extrait de l’interview de Rokhaya dans Le Prescripteur papier de décembre 2020 ! (interview réalisée en septembre 2020)
Tu viens d’une famille modeste et dans ton livre Ne reste pas à ta place, tu parles des moteurs qui t’ont permis de t’affranchir du déterminisme social. Peux-tu nous en citer 3 ?
Avant toutes choses, il est important de ne pas placer une culpabilité sur les personnes qui ne parviennent pas à se sortir de ce déterminisme social car on vit dans une société qui est moins ouverte pour certaines personnes que pour d’autres, et certains doivent déployer bien plus d’efforts pour arriver à la même position. Il y a évidemment un facteur chance ! Ceci posé, je dirai que l’un de mes premiers moteurs a été d’être une fille de l’immigration. Mon frère et moi avons grandi avec l’idée selon laquelle nos parents avaient fait le sacrifice de quitter leur pays pour nous offrir un avenir meilleur. Réussir était pour nous une manière d’honorer ce sacrifice.
Ton deuxième moteur ?
Le fait d’être l’aînée ! Car même si je suis une fille, mon statut d’aînée m’a donné une certaine autorité. Il n’était pas rare d’entendre mes petits cousins dire : « C’est Rokhaya, il faut l’écouter » et ça m’a aussi forgé un caractère. L’importance de l’aînée est très propre à la culture de mes parents. Quand je vais au Sénégal, je suis toujours respectée, car on considère que j’ai une expérience de vie qui me donne un savoir et justifie mon autorité. C’est pour cela que les femmes sénégalaises, contrairement aux Occidentales, n’ont pas peur de vieillir, car elles accèdent à ce statut respecté.
C’est beau et libérateur de parfois s’en remettre au divin et de se dire, “ce que je fais contribue à quelque chose qui m’est cher et me dépasse”.
Et enfin ton troisième moteur ?
Je dirais que c’est ma spiritualité. Le fait d’avoir grandi parmi plusieurs messages culturels, dans un environnement sain et assez religieux, m’a beaucoup structurée. Cette idée de s’élever vers le bien, de respecter ses prochains, m’a poussée au dépassement. Et c’est beau et libérateur de parfois s’en remettre au divin et de se dire, “ce que je fais contribue à quelque chose qui m’est cher et me dépasse”.
Tu te décrivais comme un ado timide et aujourd’hui, le New York Times dit que tu es l’une des voix les plus importantes contre le racisme en France. On a du mal à croire à cette timidité !
Et c’est pourtant vrai ! (rires) J’ai eu envie, à un certain moment de ma vie, de m’emparer de certains sujets pour faire entendre ma voix et cela a transformé ma timidité. Ce qui est paradoxal, c’est que je suis quand même quelqu’un d’assez réservée dans la vie.
L’année 2020 a été marquée par la mort de George Floyd qui a eu un vrai écho en France. De quel œil as-tu vu cet élan ?
J’ai trouvé vraiment fort de la part des collectifs, en particulier du collectif Adama, d’être parvenu à amener le débat sur le terrain français. On en a bien besoin.
Militer pour une République post-raciale revient à penser une République où chacun a les mêmes possibilités, les mêmes potentialités. Il faut sortir de l’héritage de la colonisation.
Tu parles beaucoup d’un appel à une République multiculturelle et postraciale, qu’est-ce que cela veut dire ?
Il s’agit d’une République qui serait capable de se reconnaître telle qu’elle est, dans toutes sa multiculturalité. La France est présente sur 4 continents où il y a aussi bien des populations noires que blanches ! De même, militer pour une République post-raciale revient à penser une République où chacun a les mêmes possibilités, les mêmes potentialités. Il faut sortir de l’héritage de la colonisation.
Cette année a été marquée par la sortie de deux projets : ton documentaire “Où sont les Noirs ?” et ta BD “Ne m’explique pas la vie, mec !”. Quels thèmes y abordes-tu ?
Mon documentaire parle de la place des personnes noires sur les écrans français et quel regard a été produit sur elles depuis le début du cinéma français. Ma BD, créée avec la talentueuse illustratrice Blachette, dénonce le sexisme ordinaire qui s’exprime dans le quotidien et aborde de façon humoristique les situations absurdes de mansplaining (quand un homme explique à une femme ce qu’elle sait déjà), de manterrupting (quand un homme coupe systématiquement la parole à une femme qui tente de s’exprimer) et de manspreading (quand l’homme prend ses aises dans les lieux publics notamment dans les transports en communs).
Tu as maintenant ta propre rubrique au Washington Post…
Ils m’avaient repérée sur les réseaux sociaux, ils me demandaient d’écrire régulièrement sur différentes thématiques comme la coupe du monde, le #metoo… Pendant le confinement, j’avais tellement de temps libre que j’ai beaucoup écrit pour eux, à tel point qu’ils m’ont proposé un contrat pour rejoindre la rédaction. Je suis la première Française dans la rubrique Washington Post Global Opinions et j’y traite surtout de questions de sexisme, d’antiracisme, et de questionnements sociaux en général.
Quelle est la figure féminine qui t’inspire au quotidien ?
Christiane Taubira. Je trouve qu’elle est d’une puissance et d’une intégrité politique rare. Elle est brillante, c’est une femme de lettres qui dit les choses et assume tout ce qu’elle fait, je trouve que c’est remarquable. Deux lois fondamentales pour la France portent son nom : celle qui reconnaît l’esclavage comme un crime contre l’humanité et celle qui reconnaît le droit aux homosexuels de se marier.