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Thylacine : le compositeur venu d’ailleurs

Son premier album Transsiberian (2015) a fait de lui l’un des succès de l’électro alternative française. En ce début d’année où on ne voyage toujours pas (ou peu), rencontre avec William Rezé alias Thylacine, dont chaque album offre un passeport pour l’évasion. Son petit dernier, Timeless, composé pendant le premier confinement, a remplacé les grands espaces par les grands morceaux de la musique classique, revus avec brio à sa sauce électro. Entretien à lire et à écouter avec un musicien qui ne cesse de se réinventer.

Pourquoi avoir choisi ce pseudo de Thylacine ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, je ne voulais pas de nom propre pour garder le projet ouvert, ne pas le centrer sur moi. Je ne voulais pas non plus créer un nom de toutes pièces qui ne veuille rien dire. J’ai fait des études de biologie, et en me replongeant dans des bouquins je suis tombé sur ce thylacine, un loup de Tasmanie aujourd’hui disparu. J’aimais bien le fait de donner une deuxième vie à ce mot.

Tu as une formation au Conservatoire et aux Beaux-Arts, pourquoi avoir choisi de te lancer dans l’électro ? Comment as-tu eu le déclic ?

Le Conservatoire, j’y suis passé, alors que les Beaux-Arts, j’y suis resté : il y avait un côté expérimental et une liberté entre les différents moyens d’expression, dont la musique, qui m’a passionné et qui est encore aujourd’hui au cœur du projet Thylacine : il s’agit de se faire plaisir sur tous les axes, de la scéno en passant par les pochettes, les live, voire même des expositions… Les opportunités sont immenses !

L’électro, je l’ai choisie plus par liberté que par passion. Elle me permet de croiser une grande variété de genres, de styles et de formats.

Tes albums précédents sont des « cartes postales musicales » de l’autre bout du monde. Quels événements / inspirations sont à l’origine de ces destinations?

 Transsiberian (2015) partait du simple constat que je me trouvais plus créatif sur la route des tournées qu’en studio. Le train offrait un bon compromis entre le confort de l’électricité et la liberté de contempler les paysages traversés, il permettait une sorte de bulle créative. J’ai recherché le train le plus long du monde et je suis tombé sur le Transsibérien. J’ai vu qu’il avait déjà inspiré d’autres œuvres, littéraires notamment, et je me suis dit que c’était l’occasion de faire ce voyage pour un projet artistique électro qui n’aurait pas été possible au siècle dernier.

Pour l’Argentine en 2019 qui a donné Roads vol.1, j’étais en caravane, ce qui offrait naturellement cette liberté et cette variété de paysages dingues qui ont inspiré l’ensemble du projet.

Pour le projet suivant, j’ai choisi un voyage plus simple avec les Iles Féroé (Roads vol.2), accessibles à 4 jours de voiture jusqu’au Danemark puis en bateau. J’ai été séduit par ces cailloux jetés au milieu de la mer, avec des paysages qui ressemblent à l’Islande, mais aussi par l’activité musicale locale que j’ai découverte sur place, notamment via un label de musique indépendant, Tutl records.

Tu as dit qu’on t’avait conseillé de contacter des chanteurs connus pour une collaboration, et qu’à la place tu as enregistré un chamane et des petites mamies. Comment est-ce que tu te situes par rapport à cette tendance du featuring systématique ?

C’est vrai qu’on m’avait fait ce genre de proposition avant Transsiberian. Après, plus personne n’a osé me le redemander, et tant mieux, parce que ce n’est pas mon truc ! Ma plus grande fierté avec Transsiberian a été de prouver que ce chamane et ces petites mamies pouvaient susciter autant d’engouement qu’un featuring, qu’un album concept comme celui-là pouvait séduire, être accessible. Ensuite, à l’inverse, on m’a systématiquement demandé où j’allais partir pour le projet suivant… Jusqu’au confinement qui m’a incité à aller dans une autre direction.

Ma plus grande fierté avec Transsiberian a été de prouver que ce chamane et ces petites mamies pouvaient susciter autant d’engouement qu’un featuring, qu’un album concept comme celui-là pouvait séduire, être accessible.

Ton nouvel album « Timeless », composé pendant le confinement, revisite les grands airs de la musique classique. Comment t’es venue l’idée de t’attaquer à ces « géants » ?

L’histoire a commencé avec Sony, qui m’a contacté pour que je retravaille les Gnossiennes n°1 de Satie dont ils possédaient les masters. C’était pour le fun, sans pression d’album derrière, ça m’a sûrement aidé à me prendre rapidement au jeu et à vouloir poursuivre avec d’autres morceaux une fois que j’ai fait Satie 2. Le reste de l’album a suivi assez rapidement, j’étais à fond dedans. Il a été composé aux 2/3 pendant le premier confinement.  On est partis de Paris avec ma copine dès le début. A priori ça devait être une semaine dans les montagnes, on a fini par y rester 2 mois ! On était dans un chalet en bois super mignon avec une vue de dingue, et très vite on s’est mis dans une ambiance de travail. Même si j’avais très peu de matériel, j’ai réussi à composer très rapidement des morceaux pendant que ma copine faisait la partie visuelle, c’est elle qui a dessiné le clip de Satie I sur son I Pad.

Pour moi, Timeless montre l’immense variété contenue dans la musique classique.  Ca va du chill-électro avec Satie à du trip-hop plus lourd avec Beethoven et Fauré, pour carrément virer au hard-rock / techno avec Verdi, qui, à l’époque de sa composition, était déjà considéré comme un morceau très violent ! Pour moi il l’est encore aujourd’hui…

Pour moi, Timeless montre l’immense variété contenue dans la musique classique.  Ca va du chill-électro avec Satie à du trip-hop plus lourd avec Beethoven et Fauré, pour carrément virer au hard-rock / techno avec Verdi.

Est-ce que ton projet de reprendre tous ces grands compositeurs a rencontré des critiques et des à-priori ?

J’en ai discuté avec quelques artistes qui m’ont dit : « Comment tu peux te permettre de toucher à ces morceaux ? ». Pour moi, c’était un challenge tout en ayant un côté pas sérieux, je voulais juste me marrer et voir où ça pouvait m’emmener. Et le moins qu’on puisse dire c’est que d’un morceau à l’autre je me suis pris au jeu au point d’en faire un album entier ! J’ai été surpris après-coup d’avoir composé un ensemble qui racontait une histoire, alors que les morceaux n’avaient à priori rien à voir.

Tu t’inspirais beaucoup des lieux pour composer, et pour cet album il a fallu faire avec le temps du confinement… Et avec l’absence des vidéos de dingue des paysages qu’on voit dans tes précédents clips. Où as-tu puisé l’inspiration visuelle pour ces morceaux et les vidéos qui les accompagnent, notamment Sheremetiev ?

C’est vrai que c’était la première fois que je bossais sans support visuel. La vidéo de Sheremetiev a été tournée cet été avec l’idée de « quelque chose d’ancien qui remonte à la surface », c’est une métaphore de l’album ! La référence cachée du clip, tourné uniquement en immersion, est celle du Titanic et de son orchestre qui joue jusqu’à la fin. On ne voulait pas trop le dire au départ, mais maintenant on assume (rire) ! Il y a un aspect très poétique et de très fort dans cette histoire, qui dit quelque chose du rapport qu’on peut avoir à la musique.

Tu as fait un live set à Versailles en septembre 2020, et l’année précédente un morceau avec les bruits enregistrés dans le château. Quelle est ton histoire avec ce lieu ?

Versailles a été la porte d’entrée pour Timeless. Il y a là-bas un rapport au temps extrêmement puissant, surtout quand tu as la chance comme je l’ai eue, pour composer le morceau dédié, d’être seul dans le château à 1h du matin ! C’est un incroyable voyage temporel et historique qui est aussi le principe de Timeless. Donc ça faisait sens que j’y retourne 1 an après pour révéler l’album.  Je m’y suis fait un ami aussi, celui qui a géré le projet pour le château, que j’aime retrouver.

Pareil pour Transsiberian, je suis retourné sur les lieux pour remercier les gens qui avaient participé au projet, les payer et leur offrir des CD. Une façon de garder le lien avec ces rencontres incroyables que j’ai faites et qui ont fait naître un album. J’aimerais faire pareil en Argentine, mais ce n’est pas pour tout de suite…

Je ne suis pas DJ : je n’ai jamais fait de set de ma vie et je n’écoute pas tout ce qui se fait pour ensuite utiliser des existants et les mélanger. Je préfère passer mon temps à apprendre à jouer d’un instrument et à composer.

Question simple mais que beaucoup se posent : c’est quoi tous ces boutons que tu manipules pendant les live ?

D’abord, il faut savoir que je ne suis pas DJ : je n’ai jamais fait de set de ma vie et je n’écoute pas tout ce qui se fait pour ensuite utiliser des existants et les mélanger. Je préfère passer mon temps à apprendre à jouer d’un instrument et à composer.

Par contre, sur mes live, je suis un peu comme un chef d’orchestre qui aurait tous les pouvoirs. J’ai l’ensemble des éléments du morceau à portée de main, les parties rythmiques par exemple ce sont les carrés de couleur que je vais ajouter aux machines qui les entourent et qui contiennent chacune un élément. Du coup je construis le morceau en live et je ne le rejoue jamais pareil, il peut être plus techno un soir à Berlin et très chill à Versailles le lendemain. Cette approche peut être casse-gueule, mais je viens du jazz, donc ça me plaît.  Si je me plante, j’ai appris à contourner le problème, voire même à faire avec et à l’intégrer au reste, ce qui fait que plus je jouerai un morceau, plus il sera déformé. Et c’est cette évolution qui m’intéresse, pas le fait de rejouer invariablement la même note, voire même comme certains toujours le même set entier préprogrammé…

Avec quelles machines / instruments travailles-tu en ce moment ?

Je travaille avec des argentins qui créent pour moi des machines en bois sur-mesure, dont les carrés de couleur que j’ai adaptés à mes propres repères pour composer un morceau. C’est super d’avoir ce matériel qui n’existe nulle part ailleurs, et qui apporte un truc très intéressant sur scène.

Côté instruments, j’ai découvert par hasard le baglama, un instrument turc qui ressemble à un bouzouki. J’ai aussi loué un violoncelle la veille du deuxième confinement. En un mois ce n’est pas encore terrible, mais, contrairement au violon, je ne souhaite plus remplacer le son organique du violoncelle par un ordinateur.

Je ne ferai jamais de la musique selon des codes imposés, à chaque fois que j’ai essayé je me suis planté !

Comment souhaites-tu faire coexister tes créations avec les contraintes actuelles, notamment celles des plateformes de streaming ?

Au moment des îles Féroé, on me parlait de « ce qui marchait », et j’ai sorti exactement l’inverse ! Sur Timeless il y a des heureux hasards comme Satie I qui ont été plébiscités sur les plateformes, mais je ne ferai jamais de la musique selon des codes imposés, à chaque fois que j’ai essayé je me suis planté ! Je refuse aussi la pression qu’on nous met à partager des titres pour nous retrouver dans leur playlist, c’est limite mafieux comme méthode. Ce serait dommage de rentrer dans une logique de formatage comme la radio actuellement : chante, en français, et 3 minutes max, sinon tu ne passes pas !

Est-ce que tu y trouves quand même certains aspects positifs ?

Bien sûr, il y a le fait que les artistes peuvent toucher un autre public à l’autre bout du monde, et qu’inversement le public peut avoir accès à des artistes qu’il n’aurait peut-être jamais écouté autrement. Je soutiens également une campagne pour une meilleure répartition des recettes des plateformes. En gros, tu paies 10€ par mois sur Deezer par exemple, eh bien ces 10€ vont pour l’instant en majeure partie aux titres les plus écoutés sur la plateforme (majoritairement du rap), et pas aux titres que toi tu as le plus écoutés. J’espère que ça va évoluer dans le bon sens.

Tu disais que ta musique n’était pas faite pour les clubs, et pourtant « Timeless » a tout pour y être joué à leur réouverture. As-tu changé d’avis depuis ?

En fait c’est plutôt que j’ai rarement l’occasion de jouer dans des clubs en France, c’est plutôt des concerts à 21h30 avec une scénographie, alors qu’à l’étranger c’est beaucoup plus fréquent de se retrouver en live plus tard et en configuration club. Je peux facilement adapter les morceaux au lieu et à l’ambiance donc je m’éclate sur les deux formats ! J’essaie actuellement de voir comment garder les instruments en club pour y conserver le côté organique que j’aime beaucoup.

As-tu de prochains projets de voyages, musicaux ou les 2 pour la fin du confinement ?

La tournée de Timeless a été repoussée, donc j’aimerais pouvoir reprendre quand ce sera possible. En même temps le break du confinement m’a offert de super opportunités de bosser avec des orchestres symphoniques par exemple, donc je vais aussi avancer là-dessus.

Et puis bien sûr repartir avec la caravane sur un autre continent pour un nouveau projet, et garder les images non-utilisées pour réaliser un documentaire… Confinement ou pas, j’ai encore beaucoup de choses à faire ! 

Album Timeless disponible sur toutes les plateformes d’écoute, ou en bel objet ici :

Pour entendre et voir plus de Thylacine, c’est ici ! Chaîne You Tube là ! Et pour suivre son actu sur Instagram : @thylacine_music

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