Dix ans d’anorexie mentale, c’est ce qu’a connu l’autrice, compositrice et interprète Laurie Darmon qui décide de raconter pour la première fois son parcours de guérison dans une chanson sortie en 2018. L’écho qu’aura son témoignage musical donnera naissance à » Corps à Cœur » : une soirée unique sur le thème du rapport au corps, de l’acceptation de soi et de la confiance en soi, composée de plusieurs artistes de la scène française, d’influenceurs et de personnalités dont la voix porte auprès des jeunes générations. Après deux éditions très remarquées au Grand Rex en 2022 et aux Folies Bergère en 2023, le show est de retour pour la troisième fois sur scène avec de nouveaux invités comme Marie S’inflitre ou encore Laury Thilleman. L’occasion de rencontrer Laurie, cheffe d’orchestre de cet ode à nos corps…
Comment est né l’idée de Corps à Cœur, un spectacle qui aborde notre rapport aux corps, pour enfin les célébrer ?
Lorsque j’ai sorti mon titre « Mai 2018 », j’ai reçu beaucoup de témoignages de personnes qui ont été touchées, se sont sentis comprises, car j’y parlais de mon parcours d’anorexie mentale et de guérison. Je n’en avais jamais parlé auparavant.
Les réactions qu’a suscité ma chanson m’ont encouragée à organiser des showcases-conférences en tout petit comité où je racontais mon rapport à mon corps sous forme de lecture musicale et de chansons. Je mettais en avant ma vulnérabilité et je permettais au public de s’exprimer en retour, de me dire ce qu’ils ressentaient, il y avait une vraie sensation de safe place avec beaucoup de bienveillance. C’est un peu cela le tout début du projet Corps à Cœur.
Comment te préparais-tu à ces échanges ?
Je l’ai fait très spontanément, comme les projets de mon enfance. Petite, j’aimais prendre des gros magazines, les découper, et coller mes images dans un cahier blanc. J’y inventais des concepts, des créations à l’aide de mon intuition. Quand j’ai organisé ces événements, j’ai procédé de la même manière : j’ai pris des feuilles blanches et des feutres, et avec une forme d’urgence, j’ai écrit ma première intervention 3h avant le spectacle. Elle tenait en 10 pages très ludiques, je m’appuyais sur des textes déjà écrits. J’avais sélectionné des passages de mon journal intime qui venaient ponctuer le show. C’était très personnel, libre.
Comment es-tu passée du format intime et sola sur scène, au spectacle Corps à Cœur qui se joue dans les grandes salles parisiennes et réunit une troupe d’artistes autour de toi ?
Pendant le COVID, ces formats intimes et beaux ont été suspendus. Durant cette période, une certaine parole s’est libérée, et j’ai commencé à penser à un nouveau format de spectacle autour des thématiques du rapport au corps, de l’acceptation de soi et de la confiance en soi.
J’ai pensé tout de suite collectif car il y a autant de rapports aux corps que de corps. Si j’avais raconté uniquement mon expérience, j’aurais seulement donné une petite facette de ce prisme bien plus complexe. Je voulais partager des témoignages, des parcours d’acceptation différents.
Je voulais à la fois partager un lien fort avec les artistes sur scène, pour qu’il n’y ait rien de surjoué, et mettre en avant des personnalités qui prennent la lumière : car quand le corps est un outil de travail, quand on n’est plus seul face au miroir, et que des regards projettent des images sur vous, s’attendent à ce que ce corps ne change pas avec le temps… Cela amène une complexité plus grande dans le rapport qu’on a à son corps.
Chaque artiste qui monte sur scène avec toi dans Corps à cœur se met à nu. Tous les artistes que tu as contactés t’ont répondu « oui » ?
Joyce Jonathan a tout de suite dit oui. D’autres ont été plus réticents, comme Louane par exemple. Tous étaient emballés par le projet, mais ce n’est pas facile d’imaginer ce que tu peux apporter sur scène, certains me disaient qu’ils n’étaient pas certains d’avoir envie de tout dire, ce que je comprends parfaitement.
Tu racontes que Louane a été un peu réticente au projet avant de se lancer, et aujourd’hui sa chanson qu’elle a écrite à l’occasion de la première édition de Corps à Cœur est sélectionné aux Victoires de la Musique ! Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je lui ai laissé la porte ouverte. Trois semaines avant le spectacle, elle m’a dit : « Je le fais ». Elle avait prévu d’interpréter une chanson de son répertoire, et puis finalement le jour de la balance, elle est venue me voir et m’a dit « Hier matin, en révisant la chanson, j’en ai composé une autre qui répond à ta consigne de parler de son rapport au corps. Je ne sais pas trop quoi en penser. » J’ai écouté, je l’ai trouvée merveilleuse.
Quand on aborde ce genre de sujet, il faut avoir une marge de manœuvre jusqu’au dernier moment. Ca stresse les ingénieurs sons et les régisseurs ! Cela m’effraie aussi, mais je dois prendre sur moi, car je sais que cela a un impact direct sur la qualité et la pertinence du spectacle.
Qui sont les artistes qui te suivent depuis la première édition, jusqu’à la troisième qui se joue ce mois-ci aux Folies Bergères ?
Pour les éditions d’après, j’ai réduit tout de même le nombre d’artistes (la première édition a duré 5h/5h30 !), en conservant un noyaux sur plusieurs éditions : Louane, Joyce Jonathan, Marie Flore, Tessa B, Charles de Vilmorin, Benjamin Siksou, Irma…
Pour la troisième édition, j’ai la joie d’accueillir pour la première fois sur scène Marie S’infiltre, Ben Mazué et Laury Thilleman !
Te sens-tu aujourd’hui complètement guérie de ton anorexie mentale ?
Aujourd’hui, je peux faire des écarts ou être plus fragile et faible, mais ça ne vient pas me dissuader de manger. Je n’ai plus de sensation de brûlures quand je mange des choses qui me font plaisir. Je ne me sens plus en prison, mais j’aime parler d’une guérison qu’il faut maintenir.
Ce serait magnifique de dire que ça ne revient jamais, mais la vérité c’est qu’il faut rester très prudent. Quand il y a des difficultés, on peut y répondre de cette manière, quand on a connu cette zone de confort.
C’est étrange et triste de t’entendre parler de « confort » dans une situation de privation extrême comme l’anorexie…
On parle de confort, c’est vrai, et c’est étrange. Les personnes qui ne souffrent pas de cette maladie ne peuvent pas le comprendre.
Tout est inversé dans l’anorexie et notamment dans l’anorexie mentale : elle a cette particularité d’envahir tous les pans de la vie.
Ce qui est dur, c’est que les personnes qui ne le vivent pas ne comprennent souvent pas. J’avais, par exemple, peur qu’on m’oblige à manger : mais ce qui me faisait peur, ce n’était pas de prendre du poids, mais la sensation de manger. Cette sensation était comparable à celle que l’on éprouve quand on se rapproche de fils barbelés. A chaque fois que je vivais cela, je sentais des brûlures dans tout mon corps. Imagine ce que pouvaient déclencher chez moi de simples phrases comme « Goutte ce plat ! » ou « Termine ton assiette ! ».
Corps à Cœur rassemble des hommes, mais surtout beaucoup de femmes sur scène : était-ce un désir chez toi de célébrer une forme de sororité ?
Oui, parce qu’évidemment le corps des femmes est plus observé, plus attendu. Les femmes savent mieux le démasquer et le formuler d’ailleurs. Corps à cœur est une manière concrète d’agir en toute sororité : réunir des femmes pour parler de leur rapport à leur corps.
Mais j’avais envie et besoin qu’il y ait également des hommes sur scène, car moins savent en parler. Souvent, les garçons auxquels je me suis adressée, me disaient que c’était un spectacle de femmes. Et j’étais étonnée, car on a tous un corps ! Ca a été long d’en convaincre certains de s’emparer du sujet. Pourtant les hommes ont beaucoup de choses à dire. D’un homme, on attend souvent, dans notre société où est prônée la masculinité toxique, qu’il incarne le patriarche fort et puissant qui nourrit sa famille…
Tu viens de sortir ton premier livre, Corps à Cœur, et tu expliques que : « C’est certainement l’objet le plus vulnérable que j’ai créé jusqu’ici… ». Pourquoi ?
J’y raconte pourquoi j’ai créé Corps à Cœur et tout mon parcours d’anorexie mentale et de guérison, avec une précision que je n’avais osée. Il y a notamment un chapitre dans lequel je me raconte avec mon regard et mes mots d’aujourd’hui : j’y consigne des extraits que je suis allée rechercher dans mes écrits d’enfance et d’adolescence qui racontent déjà tout. J’ai voulu rendre compte de ce qu’une petite fille de 10, 13, 15 ans peut partager sur les complexes. J’ai repéré un « terrain ». Je ne peux pas être plus impudique et vulnérable que cela ! C’est dur de me raconter autant, mais je le vis comme quelque chose qui me soigne et peut en aider d’autres.
J’ai complété le livre avec 8 témoignages de parcours d’acceptation avec des artistes et personnalités : Laury Thilleman, Joyce Jonathan, Irma, Tristan Lopin, Charles de Vilmorin, Benjamin Siksou, Hugo Bardin aka Paloma et Barbara Butch. Certains révèlent des récits intimes sur la boulimie et l’anorexie mentale : je suis très touchée par cette confiance là.
A côté du projet Corps à Cœur, tu continues ta carrière sola avec notamment un troisième album et une tournée aux Etats-Unis !
Oui ! Tout est parti d’un buzz avec ma chanson « Laisse-moi t’aimer » l’été dernier. Elle a envahi la Russie, la Corée du Sud, l’Espagne, les Etats-Unis… Ce sont des créateurs de contenus très suivis qui ont utilisé ma chanson dans des reels. Ils avaient tous en point commun de parler de la santé mentale, de la façon d’entretenir son corps de façon saine. Il y a notamment la mannequin grande taille Ashley Graham qui a publié du contenu avec ma chanson.
Qu’as-tu voulu partager dans ton troisième album « Traversée du Désir » ?
Ce qui m’a guérie, c’est de m’assumer comme j’étais. J’ose aborder ma vision des choses, du célibat, le fait d’aimer une personne avant d’aimer un sexe…
On nous dit dans l’oreillette que tu as un projet de podcast ?
Oui, c’est un podcast Corps à Coeur qui sortira avec un épisode toutes les deux semaines avec des artistes de la scène française qui se racontent. Ce n’est pas pareil que les performances hybrides du spectacle, ni comme les transcriptions écrites. Mais je pense que je vais lever le pied ensuite pour réfléchir à la suite. J’ai un rapport gourmand à la création, mais je dois prendre le temps de défendre chacun de mes projets, et me freiner un peu pour cela ! (rires)