L’Eau d’Hadrien, Petite Chérie, Ce Soir ou Jamais : autant de noms qui évoquent un univers olfactif à part, une poésie et un raffinement ultime : celui de la maison Goutal, portée par Camille Goutal (fille d’Annick, créatrice de la marque) et Isabelle Doyen, depuis 1999. Toutes deux nous ont accueillies dans leur atelier des senteurs, véritable cocon créatif et bulle de bonheur sensoriel au cœur de Paris.
Etre invitée dans le repère feutré de Camille Goutal et Isabelle Doyen, niché dans une petite cour coquette du 17ème, est un privilège ! On pourrait les imaginer dans un laboratoire aseptisé, le nez plongé dans flacons et alambiques et cernées de pense-bête aux formules mystérieuses…et ce sont un canapé de velours ancien, des moulures réconfortantes et des photos, bibelots et meubles remplis de souvenirs qui nous accueillent. S’il n’y avait toutes ces mouillettes trempées dans des flacons de verre et le magnifique orgue à parfum en bois peint dans la pièce attenante, on se croirait sans doute dans l’antre d’un peintre ou l’alcôve romantique d’un écrivain.
En tout cas ici on crée, c’est indéniable ! Les murs sont emprunts d’une douce féminité et d’une belle harmonie. Une entente naturelle et un enthousiasme dans le travail comme dans la vie qui semble lier ces deux passionnées des sens et d’essences. Et c’est aussi ce que l’on comprend lorsqu’on interroge nos deux créatrices, dont le destin a lié les chemins par de belles rencontres humaines et olfactives… Elles nous ont fait le grand plaisir de nous dévoiler quelques coulisses de la belle maison Goutal.
Camille et Isabelle tout le monde connait la maison Goutal, mais pas forcément son histoire et donc, aux prémices, celle d’Annick, une femme exceptionnelle. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Camille – Annick, ma mère, a d’abord été pianiste, puis mannequin à Londres. C’était quelqu’un de très instinctif et d’une grande sensorialité. A la fin des années 70, à la suite d’une rencontre avec un grand parfumeur à Grasse, elle est tout de suite tombée amoureuse de ce métier et a décidé d’en apprendre les techniques de fabrication à l’ancienne. C’est le début de l’histoire, avec la création de son premier parfum « L’Eau d’Hadrien » en 1981, puis l’ouverture de sa première boutique rue de Bellechasse. Le succès est vite arrivé grâce, entre autres, à de nombreux artistes, journalistes, écrivains qui habitaient le quartier et sont tombés sous le charme de ses créations délicates et avant-gardistes.
Isabelle – De mon côté, j’ai connu Annick par l’intermédiaire d’une professeur de l’école de parfumerie dans laquelle j’étudiais. Elle l’aidait dans la préparation de ses formules et, 3 ans après la fin de mes études, m’a proposé de venir la remplacer. On travaillait ensemble dans le petit labo qu’elle avait aménagé au premier étage de sa boutique rue de Castiglione. On s’est tout de suite entendues et comprises, notamment grâce à notre intérêt commun pour certaines fragrances, des réminiscences de nos enfances, comme certaines notes de rose.
Comment cela s’est-il passé après la disparition prématurée d’Annick en 1999 ?
Camille – à l’époque j’étais photographe. C’était mon métier et je l’adorais, mais je ne me suis pas posée de questions quant à mon implication dans la maison Goutal. J’ai trouvé naturel de reprendre le flambeau, même si j’ai continué à mener les deux activités en parallèle pendant 3 ou 4 ans ! J’avais toujours vu Isabelle et ma mère travailler ensemble, j’aimais et je connaissais bien cet univers. Et puis, depuis toute petite, j’avais déjà des idées de parfums dans la tête, des inspirations, même si je n’avais pas toutes les clés « techniques » du métier. C’est Isabelle qui s’est chargée de me formation.
Isabelle – ça a été très naturel pour moi aussi de continuer à travailler avec Camille. Nous avons, comme avec Annick, beaucoup d’atomes crochus. Nous aimons les mêmes choses, nous travaillons d’ailleurs souvent en binôme. L’une commençant un parfum, l’autre le finissant et vice-versa. C’est plus facile d’être deux, ça permet de prendre du recul lors du processus de création, de ne pas stagner sur des projets et de les faire évoluer de façon plus fluide. On a souvent les mêmes envies au même moment, et on se fait confiance. Quand il arrive que l’une ait quelques réticences sur une formule, l’autre le sait tout de suite, comme il arrive souvent aussi, que l’on n’intervienne qu’en fin de créa pour valider un projet.
Camille, quelles sont les fragrances qui ont marqué ton enfance ?
Ça va sembler un peu bizarre, mais depuis toute jeune, j’ai une passion pour les fleurs blanches et les senteurs exotiques comme celle du tiaré ou de la fleur de frangipanier. J’étais obsédée par l’idée d’aller à Tahiti, j’adorais l’odeur du Monoï. Ça m’a beaucoup marqué et c’est d’ailleurs de cette envie qu’est né « Songes ».
Pour moi, petite, le parfum était une notion assez floue. Je pensais qu’il n’existait qu’un seul parfum que les mamans partageaient toutes.
Et toi Isabelle, est-ce que créer des parfums a toujours fait partie de tes projets ?
Pour moi, petite, le parfum était une notion assez floue. Je pensais qu’il n’existait qu’un seul parfum que les mamans partageaient toutes. Elles sortaient parfois de la salle de bains avec cette odeur si particulière que je n’arrivais pas à définir. J’avais eu aussi des coups de cœur sensoriels, entre autres avec une rose dans un jardin familial et son irrésistible odeur de poire. Mais rien de plus. Et puis, plus tard, pendant mes études, le père d’une amie, qui travaillait chez Guerlain, m’a parlé de l’Isipca (une école de parfumerie), en pensant que ça me correspondrait bien. Tout d’un coup, c’est devenu limpide, j’ai su que c’était ma voie !
Quelle est la signature des parfums Goutal ?
Camille – c’est un grand perfectionnisme, de la tendresse, de l’élégance et de l’audace ! Les personnes qui viennent chez Goutal sont là pour le caractère rare de nos fragrances et les matières nobles que nous utilisons. On reconnaît les parfums Goutal parce qu’ils sont uniques ! Je me souviens de cette histoire que racontait ma mère sur « Ce Soir ou Jamais » avant qu’il ne soit commercialisé. Dans la rue, les gens arrêtaient les amies à qui elle avait proposé de le tester, pour leur demander si c’était bien du Goutal. Ils reconnaissaient un parfum de la maison rien qu’en le croisant une fois : une belle reconnaissance !
Comment se passe la création d’une nouvelle fragrance ? Qu’est-ce qui vous inspire ?
Camille – Beaucoup de choses nous inspirent. Un voyage, des photos, une sculpture, une expo, une musique, un souvenir. Nos proches aussi parfois.
Isabelle – ça peut aussi partir de matières premières que l’on ne connaissait pas encore ou auxquelles on n’avait pas pensé. Avec les progrès scientifiques, on voit arriver de nouvelles techniques d’extraction permettant d’exploiter des naturels jusqu’alors impossibles à traiter, car trop fragiles.
Quelles sont vos essences favorites ?
Camille – Les épicées, les fleurs blanches donc. Le vétiver. Isabelle adore les roses ou le musc.
Isabelle – il nous arrive de travailler beaucoup une matière parce qu’elle nous fascine et qu’on a envie d’en explorer toutes les possibilités. Et puis au bout d’un moment, on a besoin de changer.
L’ADN de Goutal est justement de ne pas suivre le mouvement, d’être hors des sentiers battus et de proposer des choses différentes.
Le marché de la parfumerie a pas mal évolué, et fait désormais la part belle aux créations exclusives, aux parfums dits « de niche », dont Goutal pourrait être une belle évocation. Est-ce que cela vous a donné plus de liberté dans la création ou êtes-vous quand même obligées de suivre un peu les « tendances » ?
Camille – L’ADN de Goutal est justement de ne pas suivre le mouvement, d’être hors des sentiers battus et de proposer des choses différentes. On est d’ailleurs souvent en avance d’une « mode ». Je pense à ce fameux tiaré que j’aime tant, que l’on a commencé à travailler bien avant que ne débarquent toutes les fragrances solaires actuelles, ou à l’oud, que ma mère avait découvert il y a très longtemps grâce à ses clientes venues du Moyen-Orient et qui résidaient au Ritz. A l’époque, elle avait été intriguée par cette senteur si particulière, mais ça n’avait vraiment pas fait l’unanimité autour d’elle !
Isabelle – On sait combien les choses ont évolué depuis ! On fonctionne aux coups de cœur, même si on est quand même connectées à ce qui se passe autour de nous.
Je trouve un peu prétentieux de le dire comme ça, mais c’est vrai que la maison Goutal est souvent présentée comme une ambassadrice du chic français à l’étranger.
La femme Goutal peut-elle être considérée selon vous comme la quintessence de la femme française ?
Camille – Je trouve un peu prétentieux de le dire comme ça, mais c’est vrai que la maison Goutal est souvent présentée comme une ambassadrice du chic français à l’étranger. C’est un très grand compliment et ça correspond aussi à une certaine idée de savoir-faire et d’exclusivité qui nous est chère.
Combien de parfums parvenez-vous à créer par an ?
Isabelle – C’est assez variable. Certains parfums peuvent nous prendre des mois et des mois à élaborer et d’autres arrivent plus vite et plus naturellement. Mais nous essayons de proposer au moins deux fragrances par an. Et il nous reste tellement de choses à explorer ou de formules en sommeil…
En ce début 2019, quelles sont les actus de la marque ?
Camille – Nous avons sorti une nouvelle gamme de bougies à Noël. Elles ont été relookées par le designer espagnol Tomas Alonso, et proposent de nouvelles senteurs. En ce moment, nous avons aussi une belle collection pour les mains, comprenant des savons et des crèmes avec de jolies fragrances. Bientôt sortira une édition limitée d’un de nos parfums iconiques, et dans un mois, le 3ème parfum de la collection « Oiseaux de Nuit » : Etoile de Nuit .
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