Pourquoi la résilience, c’est-à-dire la capacité à prendre acte d’un choc traumatique et à le surmonter, fait-elle autant parler d’elle ? Si ce mot est à la mode, c’est peut-être parce qu’il nous donne de l’espoir, une arme non négligeable dans le climat anxiogène (tiens, un autre terme malheureusement dans l’air du temps) que nous traversons : face aux drames collectifs ou individuels, il est bon de s’accrocher aux exemples de ceux qui nous prouvent qu’on peut se relever et se reconstruire après un traumatisme. Trois femmes partagent avec nous les rouages de ce mécanisme qui les a menées à rebondir pour retrouver le chemin du bonheur après une épreuve qui a bouleversé leur existence. Des parcours de résilience qui font du bien !
Parcours de résilience – Muriel, 44 ans
J’ai redouté dès l’enfance le jour où ma mère mourrait. Mais quand mon frère m’a a appelée en janvier 2017 pour me dire qu’elle avait fait un AVC, je ne m’attendais pas à la perdre à ce moment-là. Je vivais une période professionnelle compliquée, la boîte que j’avais fondée était sur le point de fermer. Et devoir affronter le décès de ma mère en même temps ? Je ne pensais pas pouvoir surmonter tout ça. Car même si elle avait 82 ans, elle était encore en très bonne santé : le sol s’est ouvert sous mes pieds, c’était trop soudain.
J’ai foncé à son chevet à l’hôpital et très vite, elle est tombée dans le coma. J’ai tout de suite senti que c’était extrêmement grave et je ne voulais pas rater ses derniers instants mais une part de moi voulait aussi croire qu’elle pourrait s’en sortir. Je l’ai veillée pendant huit jours et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu l’accompagner pendant cette dernière semaine car cela m’a permis de faire un travail de deuil accéléré. Nous avions un lien très fort et même si elle était inconsciente, j’ai pu lui dire tout ce que je voulais lui dire. J’ai aussi commencé à poser des mots sur la peine que je ressentais, cela m’a permis de faire sortir la douleur. J’ai partagé certains de ces textes sur les réseaux sociaux et ils ont eu un formidable écho chez beaucoup de gens qui me suivaient et qui m’ont envoyé de nombreux messages réconfortants. Pour une fois, j’ai accepté que l’on me soutienne et toutes ces petites attentions ont tissé la toile qui m’a empêché de tomber en cette période traumatisante.
Sa respiration était très ralentie le dernier matin et je lui ai dit « C’est bon, je suis prête. Tu peux y aller ». Et elle s’est arrêtée de respirer. En réalité, je n’étais pas prête à la voir partir. Mais j’étais prête à arrêter de la voir souffrir. Et je perçois beaucoup d’amour et de confiance de sa part car je pense qu’elle s’est arrêtée de respirer parce que je l’ai autorisée à partir.
Son décès a été une vraie déchirure dans mon existence. Mais je suis très heureuse d’avoir été là pour elle jusqu’au bout, cela m’apaise de me dire que non seulement elle n’est pas morte seule mais qu’elle est morte près de moi. J’étais très vulnérable pendant les mois qui ont suivi son décès mais sa mort m’a néanmoins offert un cadeau inattendu : je n’avais plus à la redouter, le pire était arrivé. Sur le long terme, je me sens fière d’avoir survécu à ma plus grande peur et je pense qu’elle aussi serait fière de moi.
Mais il faut savoir que le processus de deuil n’est pas linéaire : j’ai parfois eu des rechutes… Et ce n’est pas grave ! Je pense que je n’ai jamais complètement cessé de ressentir de la joie ces quatre dernières années mais elle était à chaque fois vite ombragée par le poids du deuil. Il m’aura fallu trois ans pour renaître après le décès de ma mère et un an de plus pour complètement revivre.
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Parcours de Raphaëlle, 36 ans
Je suis metteuse en scène, chorégraphe et directrice artistique de ma compagnie, qui était en plein essor en mars 2020. Nous avions une très belle visibilité et beaucoup de projets en cours ou en préparation, c’était une période passionnante.
Et puis le premier confinement nous a stoppés net et je me suis retrouvée dans un état de choc face à ce tsunami qui mettait nos vies à l’arrêt. Tous mes projets ont été annulés, notamment un spectacle à New York que je préparais depuis plusieurs années et qui devait se jouer à Broadway. C’était un de mes rêves qui s’envolait et cela m’a mis un vrai coup. Tout comme les répercussions pour les personnes qui travaillaient avec moi, l’incertitude qui planait sur l’avenir de ma compagnie et le secteur de la culture. Sans oublier mes questionnements sur ce qu’allait devenir le monde, tout simplement.
Je ne savais pas comment réagir, il m’a fallu un mois pour digérer ce qui était en train de se passer et un mois pour réfléchir à la manière dont j’allais pouvoir continuer à fonctionner en tant qu’humaine et artiste. J’ai eu besoin de silence, de repos. Pour moi qui avais un rythme fou ces dernières années, ce break forcé a été une opportunité unique : cela m’a permis de me faire face et de faire face. Et finalement, la machine s’est remise en marche.
Ce qui est drôle, c’est que dans un de mes spectacles j’avais imaginé un monde futur finalement pas si éloigné de ce qui était en train d’arriver. Mais il y a toujours de l’espoir dans mes créations qui portent souvent le message « Réagissons ! ». Forcément, je ne pouvais pas moi-même ne pas réagir et rebondir.
A la fin du confinement, j’ai eu la chance de pouvoir rapidement reprendre le travail à travers certains projets qui ont été maintenus. Il a fallu réfléchir à la façon de continuer notre activité artistique avec les nouvelles difficultés imposées par la situation sanitaire, cela n’a pas été évident mais il s’agissait de rester en mouvement. Et si aujourd’hui le secteur de la culture est encore à l’arrêt, je suis pourtant persuadée qu’il est essentiel à l’avenir de l’humanité.
Toute cette période m’a donné envie de développer des spectacles en rapport avec l’univers du cinéma, j’ai besoin de recréer du lien à travers des créations qui vont véhiculer de la positivité et de la solidarité. J’essaie de ne pas me laisser décourager par les obstacles auxquels nous les artistes sommes confrontés en ce moment car je pense qu’il faut rester dans l’action : c’est comme ça que l’on changera le monde.
Parcours de résilience – Vanessa, 31 ans
L’état de santé de notre fille a commencé à nous inquiéter vers ses cinq mois et il a fallu quinze jours aux médecins pour établir un diagnostic. Pendant cette période, j’ai marchandé avec moi-même : si nous apprenions que Lisa souffrait d’un handicap, j’y ferais face. Mais c’est une autre bombe que mon mari et moi avons reçu en pleine figure au terme de tous les examens… Notre enfant était atteinte de la maladie de Krabbe, une pathologie rare et incurable.
Selon les médecins, elle n’atteindrait pas l’âge adulte. Et ils nous ont lâchés dans la nature sans plus d’explications, désemparés. J’ai vite compris à travers mes recherches sur Internet qu’en réalité, elle pouvait espérer vivre jusqu’à ses deux ans. J’ai ressenti beaucoup de colère envers la vie car j’avais mis du temps avant d’avoir un enfant, la naissance de Lisa avait été un miracle. Et maintenant, on allait me reprendre ma fille ! Le ciel nous tombait sur la tête…
Prendre contact avec l’association « Lueur d’espoir pour Ayden » fondée par Morgane, dont le fils avait aussi la maladie de Krabbe, m’a sauvée à ce moment-là. Grâce à son soutien, mon mari et moi avons décidé de nous concentrer sur les bons moments que nous pourrions faire vivre à notre enfant pendant le temps qui nous restait ensemble. Nous avons vécu au jour le jour, il y a eu des journées terribles, d’autres magiques. Et quinze mois plus tard, Lisa nous a quittés.
C’est grâce à mes proches et à mon mari que je ne me suis pas effondrée. Il avait autant besoin de moi que moi de lui et les épreuves nous ont soudés. Mais en découvrant quatre mois après le décès de Lisa que j’étais enceinte, j’ai encore ressenti de la colère : j’avais arrêté la pilule quand notre fille était encore en vie pour lui donner un petit frère ou une petite sœur, cela n’avait pas marché et maintenant qu’elle n’était plus là, que mon cœur était brisé, je tombais enceinte ? J’ai eu du mal à accepter cette grossesse et à m’en réjouir. Surtout qu’il fallait que je fasse un test pour m’assurer qu’il n’y aurait pas de problème pour le bébé car la maladie de Krabbe est génétique…
Mais notre fils était en bonne santé et l’idée d’être à nouveau maman a fait sa place dans mon cœur. Léo est né presque un an jour pour jour après le décès de sa grande sœur, il a aujourd’hui un an et demi et même si la douleur de l’absence de Lisa ne s’effacera jamais, je m’autorise de nouveau à être heureuse.
Je pense que ma fille m’a appris à relativiser et à savourer les petits plaisirs de la vie, c’est mon ange. Mon fils, lui, m’a redonné goût au bonheur. Quant à mon mari, il m’a donné de la force. Nous avons survécu à la pire épreuve pour des parents : il n’y a rien que je ne me sente capable d’affronter à présent.
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