« Je suis une femme en colère. Une colère froide et lucide. Je suis en colère parce que j’ai compris à quel point la maltraitance au travail pouvait être dévastatrice. J’ai compris que les femmes étaient en première ligne face aux agressions et au harcèlement moral et sexuel, et que ni l’entreprise, ni la loi ne les protégeaient suffisamment. » Ce sont les mots d’Elise Fabing partagés en 4ème de couverture de son nouveau livre Ca commence avec la boule au ventre sorti aux éditions Les Arènes.
Elise est une brillante avocate qui a décidé il y a 5 ans d’afficher ses convictions féministes en fondant son propre cabinet spécialisé dans les questions de droit du travail, particulièrement sensible à la cause des femmes. Elle nous raconte les coulisses d’écriture de ce livre qui dévoile le parcours de clientes qu’elles a défendues : certes elles ont remporté un bras de fer contre leur employeur en négociant, grâce au travail d’Elise, les indemnités nécessaires pour réparer le préjudice subi, mais elles sont condamnées au silence, clause de confidentialité oblige… Pas de jurisprudence, pas d’avancée du droit.
Par ce livre qui vise à ouvrir le débat sur l’égalité au travail et sensibiliser l’opinion public et politique, Elise Fabing souhaite réparer le silence qu’elle achète. Rencontre.
Elise Fabing – Tu es avocate spécialiste dans le droit du travail et tu as monté ton propre cabinet Alkemist Avocats. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours ?
Je suis avocate spécialisée dans le droit du travail depuis 14 ans, j’ai toujours été du côté salarié, jamais du côté entreprise. J’ai créé mon propre cabinet, Alkemist Avocats, il y a 5 ans avec Alice, ma meilleure amie de faculté, après avoir quitté un cabinet pour assumer pleinement mon engagement féministe.
Avocate engagée, tu évoques justement ton engagement féministe comme moteur pour créer ton propre cabinet : pourquoi en avoir fait un cheval de bataille ?
Je voulais vraiment faire ce que je voulais et créer un cabinet particulièrement engagé sur les questions de défense des droits des femmes au travail qui ne sont pas les seules victimes dans les cas de conflits au travail, mais qui sont exposés à des comportements dangereux spécifiques à leur condition de femmes : plafond de verre, maternité sanctionnée, inégalités salariales, agisme plus précoce pour les femmes que les hommes…
On m’a beaucoup dit, lorsque j’ai co-créé Alkemist Avocats que j’allais perdre ma clientèle d’hommes : il n’en est rien. J’ai d’ailleurs plus de clients masculins que féminins à l’heure actuelle.
Elise Fabing – Tu as commencé à être connue du grand public en défendant les comptes BALANCE sur Instagram (@balancetonagency, @balancetastartup) portés par Anne Boistard. Comment êtes-vous rentrées en contact toutes les deux ?
J’étais en congé maternité de ma fille, confiné chez mes parents et une amie FEMEN me dit de me mettre sur Instagram. Cette copine me crée ce compte (car à l’époque j’avais plutôt la culture facebook), et j’ai découvert le compte @balancetonagency (ndlr : une page qui pointe les entreprises pour lesquelles plusieurs salariés mentionnent des cas de violences au travail, de racisme, de sexisme, d’harcèlement d’abus de pouvoir…). Voyant que j’étais devenue l’une de ses followers, Anne Boistard m’a contactée car elle venait de créer le compte et qu’elle flippait.
On s’est rencontrées, on a décidé de mener ce combat ensemble et on a réfléchi à ce qu’elle voulait faire de cette page : un accès au droit. On a essayé de faire des fiches juridiques, mais c’était naze. On a tenté un jour un live, et ça a été un gros succès ! De fil en aiguille, je suis devenue un peu par hasard, le visage connu de ces comptes. Ensuite il y a eu la création du compte @balancetastartup, et je me suis retrouvée avec une foule de journalistes qui voulaient m’interviewer, je n’avais pas anticipé une telle frénésie.
Après ton premier livre conçu comme une boîte à outils pour donner des armes aux salariés qui ne vont pas forcément consulter un avocat, tu as sorti il y a quelques semaines ton deuxième livre : « Ca commence avec la boule au ventre » aux éditions Arènes.
Ce livre, composé d’histoires de femmes que tu as accompagnées dans leur combat juridique, est-il fait pour réparer le silence que tu achètes ?
L’idée de mon livre est de rendre la parole à mes clientes. Je l’ai écrit pour elles.
Ecrire ce livre a aussi été pour moi thérapeutique car mon métier me rend en colère très souvent et l’idée que je puisse sensibiliser l’opinion public sur ce qu’il se passe en entreprise m’a fait beaucoup de bien.
Elise Fabing – Crédit photos Philippe Quaisse
Elise Fabing – Dans ton livre, tu ne révèles pas réellement les histoires de tes clientes : tu as protégé leur identité, changé quelques détails… Mais comment as-tu sélectionné les dossiers que tu as souhaités mettre en lumière ?
La sélection a été un travail très dur car on a dû faire un tour de mes archivages de dossiers, tout relire pour réfléchir à ce qui serait pertinent.
On t’a déjà dit à plusieurs reprises que « l’égalité femme/homme au travail n’est pas vraiment un sujet d’actualité. » Comment as-tu reçu cette remarque ?
La question de l’égalité au travail est encore très tabou, on croit que tout va bien, ou on me répond que « oui, mais les hommes aussi ». Là n’est pas la question.
J’ai conscience de recevoir dans mon cabinet les cas les plus extrêmes, mais la demande croissante de clientes est là. Ce livre est un moyen de sensibiliser et d’ouvrir le débat.
A la lecture de ton livre, on sent assez étrangement que tes exemples ont malgré tout, valeur d’universel…
Parce que les situations que je décris dans le livre peuvent arriver à plein de femmes, dans plein de boîtes. Je reçois beaucoup de messages depuis la sortie du livre qui me disent « Merci, je me suis reconnue. », et de la part de femmes dont je n’aurais jamais imaginé la souffrance en consultant leur profil LinkedIn !
Tu expliques qu’en cas de difficultés avec un employeur, les hommes s’adressent à un cabinet d’avocat bien plus tôt que les femmes. Pourquoi ?
Le problème de la profession d’avocat est qu’elle a la réputation de proposer un service cher. Et les femmes sont souvent les dernières à se servir pour elles-mêmes.
J’ai observé qu’au contraire, les hommes ont généralement tendance à venir frapper à la porte du cabinet à la première mauvaise évaluation annuelle : ils interviennent bien plus tôt.
Ton livre est la fois le récit du parcours de tes clientes, mais on en apprend aussi sur ton parcours personnel, et c’est une première !
Initialement je n’avais pas très envie de parler de moi, mais mon éditeur m’a rapidement pousser à incarner mon récit. J’ai été très réticente et l’argument qui m’a poussée à prendre la parole personnellement est celui de l’inspiration : incarner mon récit, c’était peut-être inspirer de jeunes avocats à faire ce beau métier de défense des salariés.
Les prix pratiqués par ton cabinet d’avocat sont réputés accessibles et adaptables à chaque situation, ce qui est assez rare dans le milieu. Pourquoi avoir choisi de fonctionner ainsi ?
Pour rendre accessible la défense, pour que les honoraires ne soient pas un frein pour un.e salarié.e dans une situation de conflit au travail. Le forfait pratiqué par le cabinet dépend effectivement de combien tu gagnes.
Nous touchons également des honoraires de résultat, c’est-à-dire un pourcentage sur les sommes que nous parvenons à négocier auprès des employeurs de nos clients.
Ton livre a aussi pour vocation d’orienter certains politiques et agir sur les propositions de lois. Quels sont les mesures qui te semblent essentielles à porter aujourd’hui ?
Il faut savoir que j’avais déjà écrit pour les dernières présidentielles un ensemble de propositions de mesures à l’attention des candidats qui malheureusement n’avaient pas été entendues. Mais l’acharnement fait partie de mon travail : je vais revenir avec d’autres propositions et peut-être que cette fois-ci, on m’écoutera.
Les mesures qui me semblent essentielles de porter aujourd’hui sont par exemple :
- La suppression du barème Macron qui plafonne les indemnités que nous pouvons négocier pour les salariés : ce plafonnement n’est pas dissuasif pour les entreprises.
- Appliquer des indemnités décentes pour les victimes de harcèlement moral : en moyenne en 2019, elles s’élevaient à 7100€. Là encore, ce n’est pas assez dissuasif. On déresponsabilise les entreprises de ces questions de harcèlement alors qu’il y a un vrai coût social de ces comportements (consultations médicales donc coût pour la sécurité sociale, fragilité à l’emploi donc coût pour France Travail). C’est à l’entreprise d’assumer et de réparer les préjudices, pas à l’Etat, et donc aux citoyens.
- Mettre en place un système de procédure rapide pour les personnes harcelées et toujours en poste pour les sortir rapidement de leur environnement toxique de travail.
- Militer pour une transparence des rémunérations pour l’égalité salariale homme/femmes : sur ce point, le sujet avance grâce à l’Union européenne, et je m’en réjouis !
- Une mesure plus technique serait de remplacer les conseillers prudhommaux élus par des magistrats professionnels : aujourd’hui il y a un gros taux de réformation en appel, donc tout le monde y va, ce qui crée un certain niveau d’insécurité juridique.
Elise Fabing – La rançon du succès, c’est qu’aujourd’hui, tu es même obligée de refuser des dossiers, faute de temps…
J’ai envie de créer une armée d’avocats super bons pour répondre à toute cette demande ! (rires) Mais pour l’instant, je manque de temps !