Elle parle, elle parle, mais elle ne nous entend pas. Judith Godrèche a tenu un discours attendu, puissant et émouvant aux Césars 2024. L’actrice qui a décidé de ne plus taire le nom de ceux qui ont abusé d’elle alors qu’elle n’avait que 15 ans (plaintes contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon), a eu le courage de se frotter à l’exercice ô combien difficile de s’adresser au cinéma français, face au cinéma français.
Une tache particulièrement difficile que Judith Godrèche a tenu avec dignité, sans aucune visée belliqueuse, s’interrompant quand sa voix se faisait chevrotante, tout en adressant un sourire à la salle. On vous partage ici la retranscription complète de son discours, car rien ne vaut l’intégralité de son propos pour comprendre toute l’ampleur de sa démarche et le courage de son propos… Force à toi et merci Madame Godrèche.
Notre retranscription complète du discours de Judith Godrèche à la 49ème cérémonie des Césars où l’actrice confronte le cinéma français à son silence face aux violences sexuelles :
Bonsoir,
C’est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir, vous êtes si nombreux. Mais dans le fond j’imagine qu’il fallait que cela arrive, nos visages face à face, les yeux dans les yeux.
Beaucoup d’entre vous m’ont vu grandir, c’est impressionnant, ça marque. Dans le fond, moi, je n’ai rien connu d’autres que le cinéma. Alors pour me rassurer en chemin, je me suis inventé une petite berceuse :
Mes bras serrées, c’est vous, toutes les petites filles dans le silence,
Mon cou, ma nuque penchée, c’est vous, tous les enfants dans le silence,
Mes jambes bancales, c’est vous, les jeunes hommes qui n’ont pas pu se défendre
Ma bouche tremblante mais qui sourit aussi, c’est vous, mes soeurs inconnues.
Après tout, moi aussi je suis une foule, une foule face à vous qui vous regarde dans les yeux ce soir.
C’est un drôle de moment pour nous, nan ? Une revenante des Amériques qui vient mettre des coups de pieds dans la porte blindée. Qui l’eut cru ?
Depuis quelque temps, la parole se délie, l’image de nos pères idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer. Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face ? Prendre nos responsabilités ? Être les acteurs, les actrices d’un univers qui se remet en question ?
Je sais que ça fait peur : perdre des subventions, perdre des rôles, perdre son travail. Moi aussi, moi aussi j’ai peur. J’ai arrêté l’école à 15 ans, j’ai pas le BAC, rien. Ce serait compliqué d’être back-listée de tout, ce ne serait pas drôle. Errer dans les rues de Paris dans mon costume de hamster, me rêvant une Icon of French Cinema.
J’imagine pourtant l’incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble, faite de vérité. Ca ne ferait pas mal, je vous promets, juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille.
Le cinéma est fait de notre désir de vérité. Les films nous regardent autant que nous les regardons. Il est également fait de notre besoin d’humanité, non ? Alors pourquoi ?
Parce que vous savez cette solitude, c’est la mienne, mais c’est également celle de milliers dans notre société. Et elle est entre vos mains.
Ca, cela donne le ton comme on dit.
On ne peut pas ignorer la vérité parce qu’il ne s’agit pas de notre enfant, de notre fils, de notre fille.
Ne croyez pas que je vous parle de mon passé, de mon passé qui ne passe pas. Mon passé, c’est aussi le présent des 2000 personnes qui m’ont envoyé leur témoignage en 4 jours. C’est aussi l’avenir de tous ceux qui n’ont pas encore eu la force de devenir leur propre témoin.
Le monde nous regarde, nous voyageons avec nos films, nous avons la chance d’être dans un pays où il paraît que la liberté existe. Alors avec la même force morale que nous utilisons pour créer, ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas. N’incarnons pas des héroïnes à l’écran pour nous retrouver cachés dans les bois dans la vraie vie. N’incarnons pas des héros révolutionnaires ou humanistes pour nous lever le matin en sachant qu’un réalisateur a abusé une jeune actrice et ne rien dire.
Merci de m’avoir donné la possibilité de mettre ma cape ce soir et de vous envahir un peu.
Les petites filles sont des punks, qui reviennent déguisées en hamster et pour rêver à une possible révolution, elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau :
Céline, il était une fois
Julie, il était deux fois, il était trois fois.
Céline, il était que cette fois, ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois.
Merci.