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Nouvelle érotique de Fabien Muller – Identification inconnue, chapitre 1

Chaque année, Le Prescripteur vous donne rendez-vous pour une lecture coquine à dévorer sous le parasol, sous vos draps ou à l’abri d’un arbre. Cette année, Fabien Muller revient avec une nouvelle érotique… de science fiction !! 5 chapitres en tout révélés un par un chaque samedi du mois d’août. Découvrez aujourd’hui le tout premier chapitre...

Chapitre 1 – Identifiation inconnue, de Fabien Muller. Illustration @hilairebaud

Il suivait la lumière. Faible. Orangée. Il avançait lentement et sans appréhension. Ce n’était pas la première fois que Luc venait, et pourtant il n’était toujours pas habitué à ce protocole où un simple scan de sa puce rfid lui ouvrait les portes de plaisirs qu’on aurait taxés d’inavouables en d’autres temps.

Il progressait désormais à travers de longs couloirs, dans lesquels une musique lointaine, comme un air ancien de jazz rehaussé de quelques basses puissantes, filtrait à travers les cloisons, en suivant de petites leds clignotantes qui semblaient danser sous ses pieds.

La « transaction » était transparente. Facile. Presque trop. Il n’arrivait pas à savoir pourquoi il pensait cela, cependant il éprouvait un certain malaise devant la simplicité de cette démarche.

Arrivé dans la chambre, il regarda Natacha X26 – c’était son nom. Elle l’attendait en silence, dans une position alanguie au bord du lit. Un sourire peut-être timide, peut-être espiègle, au coin des lèvres. Son expression indéchiffrable le bloqua un instant. Il se demandait ce qu’il devait faire exactement. Pourtant, il était le client, il faisait bien ce qu’il voulait.

Elle était moulée dans une combinaison d’un seul tenant et sombre, qui épousait les formes splendides de son corps sculpté. Une œuvre d’art à sa disposition.

Il n’avait rien spécifié de particulier. Juste qu’elle soit brune aux cheveux courts. En fait, si. Il avait spécifié quelque chose. Quelque chose d’un peu particulier mais il ne savait pas s’ils avaient bien pris en compte sa demande. Cela faisait longtemps qu’il en avait envie et là, il s’était lâché.

Il la dévisagea. A part ses cheveux, elle n’était que perfection un peu froide. Aucune aspérité, aucun défaut. Ses yeux étaient couleur azur et elle se déplaça tout à coup avec des gestes félins afin de se positionner sur ses coudes, tandis que ses longues jambes se déplièrent derrière elle sur le lit. Le tissu qui la recouvrait semblait être sa peau elle-même. Aucun pli ne venait troubler son corps, on aurait dit un lac aux premières heures du jour, l’eau étale appelant à la nage. Cependant, tandis qu’il regarda, il constata que des lumières jouaient sur la texture qui recouvrait son corps. Tout à coup, de la fourrure apparut au niveau des poignets, un pantalon du siècle dernier apparut le long de ses membres inférieurs fuselés, une sorte de cravate sombre entoura son cou délicat. Des vêtements holographiques…

Elle se mit à danser, ses mouvements étaient fluides et réguliers, hypnotiques. Elle semblait s’éloigner puis revenir tandis que plus les secondes passaient et plus de nouvelles étoffes se mettaient à la recouvrir. Elle disparaissait petit à petit sous des couches et des couches de vêtements divers et variés.

Un effeuillage à l’envers. Un arbre d’automne qui retrouverait son manteau de printemps.

C’était fascinant, le désir de Luc était complètement pris à rebours, il était déstabilisé, excité, perdu, ne savait plus ce qu’il désirait vraiment… ses sensations étaient totalement chamboulées. Son souhait avait donc bien été pris en compte… mais réinterprété.

Puis tout s’arrêta.

Mouvement après mouvement, elle se débarrassa des différentes parures qui la recouvraient, tout en se rapprochant de lui, immobile, de sorte qu’il puisse presque la toucher. Il restait statique, cependant, fasciné par ce spectacle captivant.

Luc guettait chaque disparition, espérant apercevoir le premier bout de peau. Quand il apparut enfin, il n’était déjà plus lui-même. Natacha avait l’air tout à la fois inaccessible et si proche. Luc n’était plus que spectateur.

Elle fit glisser ses mains le long de ses bras et ses manches se détachèrent de sa combinaison sans un bruit. Elle avait les bras fins et sensiblement musclés. Sous l’éclairage hésitant, Luc distingua un petit duvet de poils blonds sur ses avant-bras, étonnante coquetterie pour ce type de modèle.

Toujours immobile, il l’observait.

Elle ouvrir le haut de sa combinaison, révélant la naissance de ses seins. Luc apprécia le galbe parfait du haut de son corps et la texture de sa peau, qu’il devinait à cette distance, à la fois irréelle et si proche. Son désir redoubla.

Il se rappela à cet instant pourquoi il était ici. Le plaisir des sens. La déconnexion. Elle s’approcha encore au ralenti, en rampant vers lui sur les draps soyeux.

Elle se débarrassa du bas de combinaison de Luc qui se refusa à donner l’ordre à son implant d’ajuster son taux d’hormone. Il avait conscience que ce strip-tease à l’envers l’avait inspiré suffisamment pour qu’aucune aide chimique ne soit nécessaire à ce qui allait suivre.

Il voulait aussi que cela reste « naturel ». Le terme le fit sourire. Comme s’il restait quelque chose de naturel en ce monde.

Natacha X26 était de la génération de ces clones hyper réalistes et dont l’apparente perfection constituait la seule preuve d’artificialité.

Il fit glisser ses doigts sur le dos tavelé de quelques taches de rousseur de Natacha et se laissa submerger par le plaisir. Il ferma les yeux et son esprit.

Lorsque Luc ouvrit les yeux de nouveau, Natacha X26 se retirait sans un bruit, le laissant seul sur le lit.

Il la regarda partir. Elle ne leva pas les yeux. Discrète. Presque furtive. Efficace et docile. Un malaise subsistait en lui, comme un fond de culpabilité qu’il n’arrivait pas vraiment à analyser.

Depuis quand s’adonnait-il à ces plaisirs « solitaires » ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais tout le poussait à se rendre dans ces lieux sans odeur : le stress, les normes que les autres imposaient, la pression sociale. Quel mal y avait-il à cela ? Après tout, ce n’était que des copies d’humains qui avaient vendu leur matériel génétique. Il ne savait même pas résoudre la question philosophique de savoir jusqu’à quel points ces copies avaient été programmées et si elles avaient vraiment des sentiments, même s’il avait conscience qu’elles pouvaient ressentir de la douleur.

Et pourtant, il continuait à se cacher, et ces maisons closes d’un genre nouveau continuait à s’épanouir dans la clandestinité. Reste de culture ancestrale où les prostituées étaient de vrais êtres humains. Mais où se situait la limite quand on ne la distinguait plus ?

Il regarda sa montre. L’heure avait filé. Il tenta de visualiser ce qui avait provoqué l’ellipse temporelle qui avait recouvert ses sens pendant l’acte. Il ne se rappelait rien, si ce n’est une cabine rouge et un drap blanc. Comme à chaque fois. Il avait de plus en plus souvent ces sortes d’absence. Une évasion du réel. Il ne trouvait pas de meilleure expression pour qualifier ce qui ressemblait à des phases d’inconscience qu’il ne sentait pas arriver et dont il sortait sans aucunes séquelles. Un micro-sommeil paradoxal habité du même rêve qui revenait sans cesse.

Tout en se rhabillant, il repensa au changement sociétal qu’avait provoqué l’apparition des androïdes et des clones. Autant l’usage des androïdes s’était rapidement imposé, autant pour les clones cela s’était fait par étape successive, chaque étape ayant été totalement indolore pour le grand public. Mais étape indolore après étape indolore, ils étaient désormais omniprésents dans la vie quotidienne et il devenait de plus en plus dur de les distinguer d’humains véritables augmentés lorsqu’ils n’étaient pas affectés à des tâches comme la propreté urbaine ou le sexe tarifé.

On distinguait désormais deux types de clones : ceux de premier niveau et les clones humains. Les clones de premier niveau avaient été autorisés une vingtaine d’années auparavant par le comité d’éthique supranational. Ils étaient strictement fichés et occupaient des fonctions réservées. Ils étaient issus d’une base améliorée mais étaient tous identifiables par fonction. Ainsi, il était aisé de distinguer un clone nettoyeur d’une pute – et d’ailleurs, personne n’aurait eu envie de confondre les deux.

Quelques années après, les clones humains avaient été mis sur le marché. La base de leur technologie était beaucoup plus avancée et ils bénéficiaient des tous derniers développements de pointe, ce qui expliquait leur prix très élevé et qui les réservait à une clientèle fortunée. Les représentants des classes supérieures seuls pouvaient se les procurer et ils n’avaient qu’une seule utilité officielle : le remplacement. Leur durée avait été limitée à dix-huit mois et ils étaient censés se « débrancher » automatiquement à l’issue de cette période d’affectation. Ils étaient en tout point identiques à leur propriétaire et un processus de transfert mémoriel initial leur permettait de prendre la place de leur humain originel, afin qu’ils puissent vivre comme des êtres normaux. Ces clones n’avaient pas conscience de leur état, afin qu’ils puissent vivre comme leur « parent », la seule condition étant que l’humain d’origine ayant fait la demande de clonage ait un point de chute pour les dix-huit mois, le « croisement » d’un citoyen et de son double étant strictement encadré et puni d’une interdiction de clonage pour 50 ans. La plupart du temps, personne ne s’apercevait du remplacement d’une personne par un clone, et les gens utilisaient ce système pour s’octroyer des congés sabbatiques supplémentaires, loin de leur vie quotidienne et de ses petits tracas. Cela gonflait cependant artificiellement le nombre d’habitants et bien que plusieurs réformes aient tenté d’allonger la durée de vie de ces copies conformes, elles avaient systématiquement été retoquées, la population considérant déjà que sa densité avait dépassé depuis longtemps les limites de l’acceptable.

Luc laissa la porte se refermer derrière lui et leva les yeux au ciel. La nuit était profonde et il la laissa l’engloutir, lui et ses doutes.

*

J’aperçois une cabine rouge en périphérie de mon champ de vision. Je tourne la tête mécaniquement. Depuis quand suis-je là ?

La cabine est plantée au centre de ce qui ressemble à une piste de cirque. Elle est ceinte d’un rideau de brume masquant les gradins, une brume extatique et calme. Comme un animal empaillé d’un peu de vapeur d’eau.

Je me concentre sur la scène. Essaye de noter les différents éléments qui constituent ce « spectacle ».

C’est une vieille cabine téléphonique anglaise typique.

Une sonnerie transperce la douceur du brouillard et, tout à coup, un drap blanc immaculé tombe d’un mouvement vertical absurde dans son absence de flottement, recouvrant silencieusement la cabine téléphonique.

Cette absence de flottement laisse penser que ce drap est retenu par des fils invisibles ou qu’il n’est pas fait de tissu, cependant il a l’air normal et je ne vois aucun dispositif de sustentation.

La structure de métal disparaît.

Sous le drap, un corps. Je ne vois plus rien soudain. Le monde disparaît.

*

Lune sautait littéralement sur place, d’une joie comparable à celle d’un enfant qui découvrirait que sa mère a mis trois biscuits dans son goûter à la place de la paire habituelle. La fraîcheur de son sourire extirpa Luc de sa morosité un peu molle et passagère. Elle lui montra l’écran de son iPhone 27, directement intégré dans son avant-bras. Il s’approcha et fit la mise au point. Plus pour partager ce moment de joie que par souci de vérification. Car il savait évidemment de quoi elle parlait : la mère de Lune était autorisée à avoir un enfant. Lune allait être sœur. Cela faisait des mois que sa belle-mère en parlait, que Lune se mettait à guetter la moindre petite bouille dès qu’ils mettaient un pied dehors, qu’elle ne cessait d’inviter sa mère à venir philosopher sur la dernière poussette à sustentation ou le modèle le plus économique d’androïde-nounou. En un mot comme en cent, elle devenait sensiblement monomaniaque.

Depuis la révolution génétique de la fin du siècle dernier, l’accès à l’éternité s’était démocratisé chez les populations aisées et la planète avait de plus en plus de mal à supporter les 120 milliards d’êtres humains qui la peuplaient et en épuisaient inlassablement les ressources naturelles. L’extraction des ressources des différentes exoplanètes et le contrôle strict du bilan carbone de tout être vivant étaient désormais un enjeu planétaire.

Les naissances étaient devenues de facto source d’instabilité, une menace même pour l’équilibre fragile du monde. On avait cru pendant un certain temps que l’émigration vers les exoplanètes les plus proches constituerait une solution acceptable – voire durable –, mais une série d’affrontements dans les colonies extérieures avait engendré une vague massive de retour sur Terre où la violence était illégale et punie à la source via le système de puces implantées dans tous les êtres vivants.

Le contrôle de la procréation était strictement encadré et on pouvait attendre plusieurs dizaines d’années avant d’être autorisé à se reproduire. Les naissances clandestines, hors du réseau autorisé et nécessitant des moyens conséquents (ne serait-ce que pour pirater les systèmes de contrôle intégrés), étaient par conséquent lourdement sanctionnées. Quant aux exactions récentes des rebelles, elles avaient finalement été une aubaine, en provoquant quelques millions de morts véritables, permettant le remplacement de ces humains disparus, même si les listes d’attente se révélaient souvent interminables.

Par chance pour les projets familiaux de sa mère, celle-ci connaissait le commissionnaire adjoint de la section 6 où elle résidait avec son nouveau compagnon depuis une cinquantaine d’années, et ils n’avaient même pas eu à passer les tests, ni même à subir les deux années de réflexion obligatoires avant d’être autorisé à avoir un enfant. En effet, les couples avaient obligation de s’isoler dès lors qu’une demande de reproduction était déposée. La plupart ne sortait pas indemnes de ces deux ans, il se murmurait même qu’après cette période de retraite, les couples choisissaient en grande majorité de ne pas avoir de descendance, préférant la séparation ou même emprunter des chemins moins balisés comme ceux de la polygamie – la promiscuité de l’ensemble de ces binômes étant souvent fatale aux projets faits à deux. Les couples devaient, en effet, et pour l’intégralité du temps de la réflexion, vivre ensemble, tandis qu’ils étaient suivis par des cyborgs psychologues étudiant leur comportement.

Lune fit une moue étrange, comme si une idée subite venait de lui percuter la boîte crânienne puis transféra d’un mouvement de poignet la brochure qu’elle venait de recevoir de la part de sa mère.

Luc ne l’avait pas vue aussi heureuse depuis plusieurs mois.

Il la regarda, lui sourit, subitement pris d’une envie de changer de sujet. Il ordonna à ses implants de lui injecter le maximum autorisé d’hormones sexuelles et commença à déboutonner le haut de sa combinaison…

La suite ici !

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[…] : La solitude d’une goutte de pluie de Fabien Muller. Fabien est notamment l’auteur de la nouvelle érotique qu’on vous avait partagé cet été ! On le découvre ici dans un récit toujours finement écrit, drôle et contemporain. Le pitch : […]

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[…] Pour celles qui auraient loupé le chapitre 1, il est ici. […]