« Le Ravissement », quand le manque d’amour rend fou d’Iris Kaltenbäck

A voir : « Le Ravissement », premier long-métrage d'Iris Kaltenbäck hafsia herzi alexis manenti nina meurisse

Coup de cœur du Prescripteur au Festival de Cannes : « Le Ravissement », premier long-métrage d’Iris Kaltenbäck, raconte l’histoire de Lydia, sage-femme interprétée par Hafsia Herzi, qui sombre dans un mensonge complètement fou – celui de faire croire à un précédent amant qu’elle a eu un enfant de lui, en usurpant le bébé de sa meilleure amie – pour conquérir le cœur de Milos, interprété par Alexis Manenti. Inspirée par un fait divers pour l’écriture de ce scénario, Iris Kaltenbäck, qui signe ici son premier long-métrage, revient sur les coulisses du film pour lequel elle a déjà reçu le prix SACD à Cannes.

Ravissement, nom masculin, 1. fait d’être ravi, transporté au ciel, 2. action de ravir, d’enlever de force…

Primé en mai dernier lors de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes, « Le Ravissement » est ton premier long-métrage. Comment as-tu vécu cette belle exposition au Festival ?

C’était une chance extraordinaire ! On s’est dépêchés de finir le film 5 jours avant mon arrivée au festival : passer de façon aussi accéléré de la salle de mixage à la salle de cinéma est assez extraordinaire et magique ! Et puis la réception a été très bonne. J’ai vécu cela comme un moment très chaleureux. Financer mon premier long-métrage a été une vraie bataille, je m’attendais à ce que sa sortie soit aussi une vraie bataille, et avoir autant de retours positifs, c’est génial. Il faut savoir qu’avant ce premier long, j’avais essayé, sans succès, de financer un autre film. Pour celui-ci, je voulais aller vite : tant pis s’il était imparfait. La manière dont tout s’est passé ensuite est très fidèle à la manière dont le film a été fait, dans l’impulsion.

Iris Kaltenbäck, réalisatrice du film « Le Ravissement » – Illustration Hilaire Baud

Le Ravissement part d’un fait divers qui t’as fascinée : celui d’une jeune femme qui fait croire à un précédent amant qu’elle a eu un enfant de lui en usurpant l’enfant de sa meilleure amie. Pourquoi avoir décidé d’en faire le scénario de ton premier long métrage ?

Ce n’est pas tant le fait divers qui m’a fascinée que cette notion d’amitié féminine qui est au centre de l’histoire, et interprétée par Hafsia Herzi (Lydia) et Nina Meurisse (Salomé) : comment le lien de deux meilleures amies allait être interrogé par la maternité et par une conception de la maternité.

Je me suis dit que j’allais raconter une amitié entre deux femmes très contradictoires : la mère naturelle qui ne vit pas sa maternité de façon naturelle (avec la solitude du post-partum), et la femme qui est dans une détresse affective et qui va créer un lien avec l’enfant de son amie.

Iris Kaltenbäck, pour le prescripteur

J’avais envie de raconter, comme celle qui n’a pas enfanté, va devenir une mère évidente pour cet enfant. Et puis le fait divers en question interrogeait aussi : le regard de l’autre dans les relations amoureuses. Si le personnage de Lydia n’avait pas fait croire à Milos qu’elle avait eu un enfant de lui, leur histoire aurait-elle pu exister ?

Il faut savoir qu’avant de réaliser des films, j’ai fait du droit pénal et de la philosophie. J’ai passé du temps dans les tribunaux pénaux.

A voir : « Le Ravissement », premier long-métrage d'Iris Kaltenbäck hafsia herzi alexis manenti nina meurisse
Iris Kaltenbäck, réalisatrice du film « Le Ravissement », en salle le 11 octobre 2023

Si vous voulez connaitre l’état d’une société, allez dans ses tribunaux pénaux : ils racontent la société de façon intime. Pour moi, les liens familiaux, amoureux, d’amitié sont politiques par définition.

Iris Kaltenbäck, pour le prescripteur

Il a une scène très forte au début du film où le mensonge, presque par omission, s’installe : Milos croise Lydia dans un ascenseur, un bébé dans les bras…

Cette rencontre dans l’ascenseur est un moment suspendu qui fait écho au titre « Le Ravissement ». Il y a une forme de quiproquo, puisque Lydia porte l’enfant de son amie, et tout à coup, elle a le sentiment d’avoir une existence, alors qu’en réalité elle est seule et dans une forme d’errance.

Avec ce regard qu’on pose sur elle et qui la croit mère, elle acquière une identité sociale : alors elle va plonger dans le mensonge.

Iris Kaltenbäck, pour le prescripteur

Lydia pose aussi cette question : parfois, on a un tel besoin d’être aimé, qu’on est prêt à changer qui l’on est pour plaire à l’autre.

Le titre « Le Ravissement » intrigue par son double sens. C’est ce que tu cherchais ?

Effectivement, le double sens m’intéressait mais aussi le sens du sentiment d’extase, d’oubli de soi. Il y a une référence au roman du Ravissement de Lol V Stein de Marguerite Duras : l’autrice raconte comment la jeune femme, à la vue de son amoureux qui tombe amoureux d’une autre, ne réagit pas comme on l’aurait imaginer : elle s’oublie, elle a un moment d’absence. Ca m’avait beaucoup parlé, fait échos à des expériences personnelles, j’avais trouvé que c’était très intelligent. J’avais envie de prendre ce point de départ dans « Le Ravissement » : la première rencontre amoureuse de Lydia avec Milos, dont elle ne parle même pas à sa meilleure amie Salomé, est une blessure qui vient ressurgir sur le personnage.

Le film présente aussi des scènes d’accouchements et de travail de sage-femme que vous avez filmées en conditions réelles, à l’hôpital. Cette dimension « documentaire » était importante à tes yeux ?

C’est une des premières questions qu’on s’est posées avec la cheffe opératrice : comment filmer le travail d’une sage-femme, et comment filmer une femme qui devient mère. Très vite, j’ai compris que dans mon geste de réalisatrice, je voulais aller filmer du vrai. Je ne voulais pas dire à des comédiennes comment elles devaient interpréter ce moment : on peut tellement tomber dans les clichés de la maternité… Et puis j’avais cette curiosité très grande de filmer l’épreuve physique, la souffrance, et le lien qui se crée avec la sage-femme.

Au fond, il y a toujours deux femmes à l’origine d’un être humain : la mère et la sage femme, deux personnes qui travaillent ensemble.

Iris Kaltenbäck, pour le prescripteur

On est donc parti du réel. Et comme je devais faire le pont de la fiction, j’ai proposé à Hafsia de venir avec nous pendant ce temps de film documentaire. Le travail de la sage-femme implique des gestes de soins, Hafsia a pu faire beaucoup de choses, tant que c’était possible. Pour Hafsia qui est une personne pudique, je sais que l’une des scènes d’accouchement a été très intense. Dans ma position ou celle de l’opératrice, on avait la caméra qui nous protégeait un petit peu, qui crée un filtre, alors qu’Hafsia était en plein dedans.

Le casting est en or avec Hafsia Herzi et Alexis Manenti : pourquoi eux ?

Je n’avais pas écrit le film avec des comédiens en tête et cela a été un moment délicat de passer du fantasme à de vrais visages. Quand on a évoqué Hafsia, qui est une actrice avec du tempérament et de la personnalité qui transpire à l’écran, j’ai senti qu’elle pouvait rencontrer mon personnage. Quand on s’est rencontrées avec Hafsia, je voulais lui dire plein de choses sur mes recherches et elle m’a coupée net en me disant : « je l’ai parfaitement comprise ». Je pense qu’il s’est passé quelque chose à la lecture.

Alexis était plus loin du personnage de Milos : on a fait une séance de travail ensemble, j’ai découvert quelqu’un de très pudique et secret. J’ai beaucoup réécrit le personnage pour lui : par exemple le personnage n’était pas serbe, mais j’ai pris ça de lui.

Hafsia me confiait dans un précédent entretien sur le tournage de ton film qu’elle avait apprécié le fait que tu laisses les acteurs s’emparer du texte et te propose des choses. Ce qui est rare pour un premier long métrage !

C’est drôle parce que les dialogues étaient très écrits, mais finalement on a trouvé une méthode ensemble. Je disais à mes acteurs de toujours se mettre le dialogue en bouche, pour garder mon empreinte, tout en se lâchant et en allant dans l’improvisation. Je les faisais revenir au texte nourri par eux. Ce qui comptait plus que tout pour moi, c’est que ce soit juste.

Quel a été le souvenir le plus éprouvant du tournage ?

Pendant le tournage à l’hôpital, on ne pouvait rien prévoir, on faisait des gardes entières de 12 heures voire plus. Je me souviens d’une journée complète passée à suivre une mère en prétravail : à la fin de la journée, la mère n’avait toujours pas accouché, mais mon équipe devait vraiment aller se reposer, alors tout le monde est reparti chez soi. Je savais que ça allait se passer dans la nuit ou le lendemain. J’ai passé toute la nuit à appeler la sage-femme pour suivre la suite du travail de la maman. Et le matin à 7h, la sage-femme m’appelle pour me dire qu’il faut venir tout de suite. C’était un dimanche matin, on a foncé à la maternité, on est arrivé avec la caméra 5 minutes après l’accouchement malheureusement. Ca a été un coup dur pour l’équipe, car on avait mis tant d’énergie dans ces prises ! Il nous fallait les images de l’accouchement pour que tous les éléments s’orchestrent et faire naître quelque secondes de cinéma. Mais la nature en a décidé autrement !

La question du financement est au cœur de chaque projet cinématographique. Quelle a été ta stratégie ?

Lorsqu’on demande des financements, on peut rapidement tomber dans le piège de réécrire beaucoup. J’avais éprouvé cela pour un précédent projet que je n’ai finalement pas réussi à financer, malgré beaucoup de réécriture pour plaire aux financeurs et décrocher des budgets. J’avais fini par comprendre que, souvent, réécrire ne change pas vraiment la donne, il faut que les financeurs se mouillent.

Quand j’ai commencé ce projet avec Alice Bloch et Thierry de Clermont-Tonnerre, mes producteurs, j’ai prévenu que je ne réécrirai pas en fonction des financeurs, et ça nous a donné beaucoup de force.

Iris Kaltenbäck, pour le prescripteur

Il faut accepter de ne pas revenir deux fois au même guichet, prendre le risque d’avoir moins d’argent pour son film, mais c’est ce que j’ai décidé de faire, et ça a payé.

On est allé voir un gros financeur qui souhaitait investir dans mon projet mais qui m’avait demandé de réécrire le film sans voix off : j’ai dit non. On n’est pas retourné les voir, c’était une grosse décision… Et puis on l’a présenté à la région Île-de-France, et avec le même scénario, on l’a eu à l’unanimité.

Quelle est la suite pour toi ?

Le film sort en salle en octobre, le plus important est devant nous : c’est la rencontre avec le public. En tant que réalisatrice, je vais tout faire pour que le film ait de la visibilité, pour l’accompagner de la meilleure façon possible, que les gens aient envie d’aller le voir en salle.

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